Par Karine Sitarz

À peine installée dans son nouveau bureau de la Cloche d’Or, la ministre de la Santé nous y reçoit fin juillet avant la pause estivale. Un brin nostalgique du cadre verdoyant de la Villa Louvigny, celle qui aime se ressourcer dans la nature revient librement sur son parcours et les nombreux terrains foulés. La Vice-Première ministre évoque aussi sa préoccupation pour les droits fondamentaux et son intérêt pour la psychologie, étudiée en formation continue comme bien d’autres matières.

Y a-t-il un souvenir de votre enfance qui soit lié à votre engagement politique ?

Avec un père inscrit au parti conservateur et un grand-père maternel – que je n’ai pas connu – très engagé au parti socialiste, la politique était présente dans ma famille. Elle fait partie de mon histoire, de ce que j’ai entendu, enfant, mais n’était pas un choix. L’engagement de mon père était très prenant sur le plan familial, ce n’était pas mon modèle. Mes études m’ont menée dans une autre direction.

Pourquoi avoir choisi le droit ?

Au lycée, j’étais en section langues et j’avais envie d’étudier la philosophie mais à l’époque les perspectives d’emploi dans cette filière n’étaient pas très nombreuses. Le droit n’était ni un rêve ni une vocation, plutôt une alternative et une matière qui ouvrait des voies. J’ai toujours aimé les raisonnements logiques et la vie en société tout comme le journalisme que je pratiquais pendant les vacances au Luxemburger Wort. Le droit m’a semblé une bonne option pour rester flexible.

Il y a 30 ans vous deveniez avocate au Barreau, puis juge, quel regard portez-vous sur cette époque ?

Je suis entrée au Barreau pour poursuivre ma formation puis ai rejoint le ministère de la Justice. J’ai travaillé à la création du tribunal administratif avant d’y démarrer comme magistrate. Cela m’a plu, c’était un travail pionnier, une belle époque, j’ai beaucoup appris, il y avait une belle dynamique et une équipe qui se construisait. Le droit administratif est assez proche de la politique et met le magistrat du côté des citoyens.

Pourquoi avoir quitté ce monde de la magistrature ?

Le travail en équipe me manquait – au tribunal on est un peu dans une tour d’ivoire – aussi après avoir élevé mes deux filles, j’ai opté pour le département ministériel de l’économie sociale et solidaire nouvellement créé. C’était un beau défi. Quelques années plus tard, avec l’expérience du tribunal et un intérêt pour la simplification administrative, je me suis laissée tentée par la nouvelle cellule de facilitation urbanisme et environnement. Et quand la simplification administrative a migré vers la fonction publique, j’ai rejoint Dan Kersch pour m’occuper de la coordination du ministère. Ma formation continue en gestion des ressources humaines et en management m’a pleinement profité, comme plus tard à l’Institut national d’administration publique.

Justice, économie solidaire, action humanitaire, santé… vous avez œuvré dans de très nombreux domaines. Lequel vous parle le plus ?

Les droits fondamentaux me préoccupent et on les retrouve comme un fil rouge dans tous ces champs d’actions. Ils sont très présents dans la vie publique, dans la politique d’aide au développement, au niveau de la protection du consommateur ou encore en santé publique où il est question de droits à l’intégrité physique.

Les droits des femmes sont de plus en plus bafoués. La remise en cause du droit à l’avortement vous inquiète-t-elle ?

Oui, cela m’inquiète de voir comment les choses peuvent changer rapidement. Nos droits sont précieux, on s’est battu pour les obtenir, il faut être en garde tout le temps pour les maintenir. Voilà pourquoi une discussion sur une obligation vaccinale ne peut être faite à la légère. On touche à de grands principes, il faut être prudent car, dans l’émotion et avec la pression, on pourrait y toucher trop rapidement.

La santé est arrivée dans votre vie accompagnée d’une crise inédite, particulièrement difficile à gérer. Deux ans et demi après, qu’en est-il ?

Il y a la fatigue de l’après-crise. On a tous souffert, chacun à sa façon. La crise est toujours là même si elle est moins préoccupante. La situation est calme dans les hôpitaux mais il y a encore des milliers d’infections et on doit se préparer pour l’automne. Pour l’heure, les dossiers à l’arrêt redémarrent, il y a une grande pression et une certaine frustration car le temps est compté, on doit avoir des priorités.

Comment appréhendez-vous les choses aujourd’hui ?

Avoir accepté plusieurs fois des responsabilités sur de nouveaux terrains, m’a donné confiance en moi. L’idée de changer de ressort dans le domaine public ne m’effraye plus, j’arrive à maitriser les matières et il y a des experts autour de moi pour m’y aider. C’est passionnant de gérer le bien de tous.

Avec un emploi du temps très chargé, comment conciliez-vous vie privée et vie publique ?

Vie privée… pas trop (rires). Mes filles sont grandes et vivent à l’étranger, je vis seule avec mon chien cela me laisse assez de liberté pour travailler. Je peux ramener plus de boulot à la maison, ce qui est pratique mais dangereux. C’est une question d’hygiène de vie de se réserver des espaces pour soi. Il faut apprendre à se gérer soi-même.

« Jeune ministre » socialiste, vous êtes une des personnalités politiques les plus populaires. Un commentaire ?

Cela me fait chaud au cœur. Il n’y a pas beaucoup de ministres de la Santé en Europe qui ont survécu à la pandémie. Je suis heureuse de ce soutien car je me suis beaucoup investie, en même temps, je sais qu’il ne faut pas se reposer sur ses lauriers.

Questions à la volée

Une musique : Leonard Cohen et Freddie Mercury m’accompagnent depuis ma jeunesse.

Un hobby : Être et marcher dans la nature tous les jours, j’ai du mal à me passer de la forêt.

Une philosophie de vie : Traiter les autres comme on aimerait qu’ils nous traitent.