Complexe et subtil, l’odorat est l’un de nos sens les plus puissants. Grâce à notre nez, nous pouvons détecter jusqu’à 1000 milliards d’odeurs. Certaines nous cueillent par surprise et nous transportent dans un lieu ou nous rappellent un souvenir que l’on croyait oublié, d’autres nous indiquent un danger ou provoquent en nous un certain dégoût.
© Giorgio Armani – My Way Parfum
Si vous deviez choisir entre Angel de Thierry Mugler ou Nina de Nina Ricci, quel serait votre choix ? Peu importe votre option, l’aversion pour l’un ou l’autre de ces parfums vous semble parfaitement évidente. Mais finalement, pourquoi détestons nous un parfum ou au contraire, pourquoi l’aimons-nous ? Au-delà des parfums créés en laboratoire par les nez de grandes maisons, nous avons tous des préférences olfactives très diverses. Il y a ceux qui adorent l’odeur de l’essence et ceux qui en ont horreur. Il va sans dire que nous sentons, quotidiennement, des centaines d’odeurs, parfois même de manière totalement inconsciente.
L’odorat fait partie intégrante de notre vie, et ce dès les premières secondes de notre existence, jusqu’à nos derniers instants de la vie. C’est à l’odeur que le nourrisson se dirige vers le sein de sa mère pour téter la première fois. « Le système olfactif est assez développé à la naissance ce qui veut dire que l’on perçoit et mémorise les odeurs très tôt dans le développement. Il y a des recherches qui montrent nous allons enregistrer, qu’on le veuille ou non, une odeur associée à une stimulation. Cette mémoire précoce est très ancrée et persiste très longtemps », note Sylvie Chokron, neuropsychologue et chercheuse française au Centre national de la recherche scientifique (CNRS).
Que se passe-t-il dans notre cerveau ?
Lorsque nous percevons une odeur, constituée de centaines de composants, celle-ci se dirige jusqu’à nos muqueuses olfactives, qui tapissent chaque cavité nasale. Le passage de ces molécules odorantes va entraîner une cascade de mécanismes neuronaux. Nos muqueuses sont en réalité dotées de récepteurs, de protéines, et de cellules nerveuses (neurones) capables de transformer le message chimique en influx nerveux interprétable par le cerveau. Les neurones sont équipés, à leur extrémité, de récepteurs olfactifs qui vont « capter » les informations reçues. Concrètement, quand nous sentons une odeur, nos cellules vont réceptionner et émettre un signal chimique.
Ces informations émises par les neurones vont d’abord être reçues par le bulbe olfactif qui va traiter l’information et construire une carte d’identité pour chaque molécule odorante. Cette carte d’identité va ensuite être envoyée, par les neurones du bulbe olfactif, vers les zones du cerveau impliquées dans la perception sensorielle. « Nous avons une région spécifique dans notre cerveau qui va traiter ces informations olfactives. Cette zone va s’activer à l’arrivée du signal olfactif, ce qui va nous permettre de reconnaître cette odeur puis de lui accorder une valence agréable ou désagréable », détaille Sylvie Chokron, auteure de l’ouvrage Une journée dans le cerveau d’Anna, aux éditions Eyrolles.
Des perceptions différentes
La perception des odeurs reste un processus complexe qui dépend de nombreux facteurs. Tout le monde ne sent pas les fragrances de la même façon. « Comme pour la vision, l’audition et les autres perceptions, chaque cerveau est unique et nos perceptions dépendent de ce que l’on a appris à percevoir. Il y a une forme d’éducation sensorielle, liée aux stimulations de l’environnement, propre à chacun d’entre nous », détaille Sylvie Chokron. Cette différence de perception dépend de notre patrimoine génétique mais aussi et surtout de notre expérience, culture et éducation.
« Par exemple, un habitant de la campagne va percevoir certaines nuances de vert et les Indiens qui vivent en Amazonie, dans la forêt, perçoivent un bien plus grand nombre de nuances de vert que nous. Ils ont une autre expérience que la nôtre, et cela est tout aussi vrai pour les odeurs », poursuit la neuropsychologue. Nos capacités olfactives évoluent aussi en fonction de notre âge. Nous n’allons pas sentir le parfum de rose de la même façon à 75 ans qu’à 5 ans. « Il existe aussi des facteurs internes. Plusieurs chercheurs et chercheuses se sont intéressés aux récepteurs, nichés dans la voûte de notre cavité nasale, et ils se sont rendu compte que tous les êtres humains n’étaient pas dotés des mêmes récepteurs », explique Roxane Bartoletti, doctorante en psychologie cognitive et expérimentale à l’Université Côte d’Azur.
Voyage dans le temps
À l’image de Proust et sa madeleine, certaines odeurs ravivent en nous des souvenirs oubliés. Elles peuvent subitement nous transporter en arrière, parfois de plusieurs années, et faire ressurgir des moments passés. L’odeur de la colle nous rappelle soudainement notre salle de classe en école primaire, l’odeur de pin, celui d’une maison de vacances. Il y a aussi les parfums qui « sentent » nos proches. La mémoire olfactive est complexe et terriblement puissante. En réalité, la région cérébrale qui code les odeurs dans le cerveau jouxte des régions qui sont impliquées dans la mémoire, c’est pour cela que les odeurs sont très associées à nos souvenirs anciens.
« Olfaction et mémoire entretiennent des liens très solides. Dans certains cas, l’odeur va permettre la reviviscence de certains souvenirs et provoquer des réminiscences émotionnelles liées à des moments passés. C’est la composante émotionnelle de l’odeur qui permet ce voyage dans le temps », ajoute Roxane Bartoletti, doctorante en psychologie cognitive et expérimentale, qui s’attache à expliquer l’influence de la musique et des odeurs sur la cognition humaine.
Un sens en éveil
Évocateurs de souvenirs, les parfums peuvent eux aussi être des bombes olfactives renfermant quelques-unes de nos émotions. « Nous sommes capables d’associer certaines odeurs à une valence émotionnelle. Les parfumeurs essayent de mettre dans un parfum des fragrances qui sont associées au plaisir, au bonheur, à la légèreté », souligne Sylvie Chokron. En réalité, notre odorat joue un rôle important non seulement dans l’évocation de souvenirs, mais il guide aussi notre attirance ou notre aversion envers des personnes ou des situations, même sans que nous en soyons conscients.
« Nous savons que nous avons la possibilité de traiter des informations olfactives complètement à notre insu », explique Sylvie Chokron. « Nous sommes en mesure de percevoir le contenu chimique précis associé à un certain sentiment. Si quelqu’un s’approche de vous, apeuré, et qu’il transpire, vous comprenez à votre insu qu’il faut s’éloigner de lui puisqu’il existe un danger. Comme les animaux, nous sommes capables de coder les odeurs que dégagent d’autres êtres », ajoute la chercheuse. Sens essentiel au quotidien, l’odorat surprend par sa puissance et n’a pas fini de nous étonner !