Texte par Cadfael

Lors du conseil du gouvernement en date du 29 avril Xavier Bettel et son équipe ont eu un échange de vues sur les dossiers de politique internationale et européenne, tradition oblige.

Quelle politique ?

Le site du gouvernement, en dehors d’une belle photo des membres du gouvernement, (toujours la même), nous apprend de manière très laconique que : « Le Conseil a approuvé la 21e actualisation du Programme de stabilité et de croissance du Grand-Duché de Luxembourg pour la période 2020-2024 » Stabilité et croissance, les maîtres mots en ces temps d’incertitude. Nous avons voulu en savoir plus sur ce document programmatique, très prudent, qui à la lecture, donne à penser qu’il y aura bientôt une 22e version.

En premier lieu, il est précisé au lecteur que face aux incertitudes de la conjoncture, ce document repose sur des hypothèses et des projections qui peuvent encore changer la donne. Loin de tout dogmatisme économique, le texte souligne que le gouvernement suit la situation de près. Entre les lignes, nous décelons une volonté sans équivoque de guider le pays à travers les turbulences actuelles de manière pragmatique. Tout en gardant en vue une récession mondiale profonde, qui semble inévitable selon les auteurs, mais à laquelle notre pays peut partiellement échapper par une politique réactive, pragmatique et intelligente.

Une autonomie souveraine pour agir

Premier point important : « Les mesures prises dans le cadre de la lutte contre le COVID-19 sont à lire dans le contexte de l’activation de la clause pour une récession économique sévère (« général escape clause ») du Pacte de stabilité et de croissance » européen. Ce pacte impose un carcan budgétaire lourd aux États membres, par exemple en matière de déficit budgétaire étatique. Il remonte au conseil européen d’Amsterdam de 1997 et devenait ces derniers temps, de plus en plus contesté surtout par les pays économiquement en difficulté.

« Cette suspension effective de l’exigence d’atteindre ou de converger vers l’objectif budgétaire à moyen terme (« OMT ») et de respecter le seuil de déficit de Maastricht permet au Luxembourg d’avoir recours à toute la marge de manœuvre nécessaire afin de mobiliser les ressources requises pour pallier les effets de la crise. » En d’autres termes, Luxembourg et ses pays partenaires économiques peuvent mobiliser les moyens financiers que chaque pays pense être nécessaires pour surmonter COVID. L’autre versant de cette liberté est une ouverture vers des égoïsmes financiers nationaux de toute sorte.


Éviter une descente aux enfers économiques

Le texte du gouvernement pose, entre autres, une hypothèse plausible qui est celle d’une l’activité économique réduite de l’ordre de 25%.« Des hypothèses plus négatives prévoient même une chute du PIB de 12,4%. Ces estimations s’inscrivent dans la lignée des récentes estimations établies notamment par le Fonds monétaire international et l’OCDE » Le gouvernement garde une vision optimiste. A-t-il d’ailleurs le choix ? « À l’image des autres pays européens, l’activité économique devrait se détériorer significativement sous ces conditions et le PIB en volume connaîtrait une chute inédite de 6,0% en 2020. L’impact de la crise actuelle est donc estimé être plus grave que celui de la crise financière en 2009 où la baisse avait atteint 4,4% »

Une vision faussée de la réalité des petits acteurs économiques ?

Ce qui donne à réfléchir lors de l’analyse de ce document qui se veut être à la base d’un certain nombre de décisions gouvernementales, est que dans l’énumération des secteurs les plus concernés qui « seraient la construction (-90%), la restauration et l’hôtellerie (-90%), les activités de transports et entreposage (-60%) ainsi que l’industrie (-47%) ». Le commerce est quant à lui taxé d’une baisse d’activité de 39%. A la lecture de ces chiffres, nous pouvons nous poser la question si le gouvernement a bien pris la mesure des conséquences sur les petits acteurs économiques et particulièrement ceux du commerce de proximité, ceux qui donnent vie à nos villes. Rappelons que les hypermarchés, dans lesquels il était possible de trouver tout ce dont nous avions besoin, restaient ouverts, alors que les petits commerces ne vont ouvrir que lundi…

Les chiffres du gouvernement semblent mélanger des données issues de la grande distribution, des petites et des très petites unités, ce qui ne reflète pas la réalité de beaucoup de nos lecteurs. Nous n’allons pas revenir sur les difficultés des petites entreprises du secteur commerce mais la reprise sera le moment de vérité avec, espérons-le, aussi peu de disparitions que possible. Le moment serait peut-être venu de se pencher sur les baux commerciaux et leur poids dans l’économie réelle. De plus, il convient de noter que le commerce ne peut pas, comme c’est cas par exemple dans la construction, transférer les coûts dus au coronavirus, sur le prix final à payer par le client.

Le document analyse longuement les décroissances internationales dues à la pandémie et la dégringolade des marchés boursiers, en exprimant clairement sa volonté de freiner la baisse du PIB par « volonté du gouvernement d’investir à tous les niveaux. » même si l’économie de notre pays est fortement dépendante de celle de ses voisins. D’un autre côté, le secteur financier a permis d’amortir une partie de cette décroissance du fait du fonctionnement des marchés financiers en « décalé » par rapport à l’économie marchande.

Les mesures prises en soutien sont listées afin d’illustrer les leviers financiers mis en place en soutien aux acteurs économiques. Tout en reconnaissant le dynamisme des actions mises en place par le gouvernement on peut se poser la question si certains des moyens proposés sont vraiment adaptés aux petits acteurs de l’économie réelle. Un casse-tête pour le ministère de l’économie, qui devrait peut-être consulter sur le terrain les acteurs en cause.

La peur d’une seconde vague ?

Par contre nous avons cherché, en vain, dans ce document une hypothèse incluant une seconde vague de COVID à l’automne comme le craignent un certain nombre de médecins spécialistes. Seconde vague qui serait probablement encore très difficile à digérer pour notre économie. Lorsque nous voyons de joyeuses foules qui se pressent dans les centres commerciaux, grandes surfaces et autres Mc Donalds, de sérieuses craintes ne sont pas injustifiées.

Mais restons optimistes et chassons les oiseaux de mauvaise augure et autres prophètes d’une apocalypse économique et acceptons les projections du STATEC qui dans son scénario de base, prévoit pour la consommation privée une progression de 3,2% l’année prochaine, après avoir connu un rétrécissement de 1,6% en 2020. D’ici là, il faudra se battre d’autant plus que le marché du travail passerait d’un taux de chômage de 5,4% en 2019 à 6,7% en 2020 et a 7.2% en 2021. Une note positive pour conclure, le document du gouvernement ne fait pas apparaitre pour l’instant de hausse d’impôts directs.

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