Dans un contexte où l’institution du mariage et sa pérennité sont de plus en plus questionnées, certains jeunes et moins jeunes couples y croient encore et ont décidé de s’unir pour la vie ces douze derniers mois. À l’orée de leurs noces de coton, qu’a changé le mariage dans leur quotidien à deux ? Enquête !
Texte : Fabien Rodrigues
De petites boules blanches bien fluffy, une popularité textile qui n‘est plus à démontrer, des origines et des bienfaits présumés ancestraux qui lui sont attribués – comme le fait de repousser les mauvaises ondes : pas ou peu étonnant que le coton ait été choisi pour symboliser le cap de la première année de mariage.
UN « MARIAGE » BOOM ?
Prévus de longue date et en grande pompe ou bien plus spontanés, comme une évidence soudaine ou rêve d’enfant soigneusement documenté au fil des années, le mariage et son institution séduisent encore et toujours les couples grand-ducaux, en attestent quelques chiffres locaux révélateurs : environ 2 000 couples se disent « oui » chaque année dans le pays – et malgré une tendance à la baisse observée « naturellement » depuis les années 60 ; avec plusieurs spécificités pour certains, puisque plus de 10 % des mariages sont conclus entre Luxembourgeois et non-Luxembourgeois et une cinquantaine sont conclus chaque année entre des personnes de même sexe depuis que le mariage homosexuel a été légalisé en 2015.
En 2023, selon le dernier rapport du STATEC sur la population luxembourgeoise, ce sont même 2 539 mariages qui ont été célébrés. « Alors que la pandémie sanitaire avait fait baisser le nombre de mariages de 15.9 % entre 2019 et 2020, une reprise avait été observée dans les deux années suivantes : 1 945 mariages en 2021, soit +7.9 % par rapport à 2020 et 2 475 mariages en 2022, soit +27.2 % par rapport à 2021 ». Avec ce chiffre de 2023, ce « boom » des mariages s’est donc clairement poursuivi… Dernier chiffre intéressant : en 2023, 72.5 % des mariages étaient des primo-mariages, c’est-à-dire que trois quarts des mariages de l’année étaient contractés entre deux partenaires qui se mariaient pour la première fois… et qui fêtaient donc leurs noces de coton – si tout s’est bien passé depuis – cette année, courant 2024…
LÉGÈRETÉ ET SPONTANÉITÉ, MAIS PAS INSOUCIANCE
Les chiffres, c’est bien beau, mais l’expérience quotidienne et réelle du mariage ne peut pas simplement se traduire de manière statistique. Le mieux est encore de donner la parole à de jeunes mariés et cela tombe bien, deux amis de la maison ont décidé de se faire passer la bague au doigt au cours des douze derniers mois : Maxime Miltgen, vice-présidente du LSAP et élue socialiste à la Ville de Luxembourg, ainsi qu’Eric Mangen, artiste et directeur artistique de l’espace-galerie Creutz (&) Friends, face au Palais Grand-Ducal. Si le jour de leur union respective à Filipe et Charline était empreint d’une légèreté apparente et de beaucoup d’entrain, la décision de se marier n’a pas été prise sur un coup de tête pour ces deux couples qui ont décidé de « passer le pas » en 2024, comme en atteste Eric : « C’était quelque chose qui nous tenait vraiment à cœur à tous les deux et personnellement j’ai toujours voulu me marier ». Même chose du côté de Maxime, qui développe : « La décision a été mûrement réfléchie ; nous nous étions fiancés deux ans auparavant et avions déjà parlé de notre désir de mariage au début de notre relation. Ayant de l’expérience en organisation d’événements, nous avons réservé le château un an et demi à l’avance, car je sais que les bons endroits à Luxembourg et dans ses environs partent vite ! Cette préparation réfléchie était importante pour moi »…
L’élue en profite pour se confier sur sa vision de l’institution du mariage en 2025 : « Elle a beaucoup évolué ces dernières décennies. Il ne s’agit plus principalement d’une union destinée à structurer la vie familiale ou à assurer la sécurité financière de la femme. Aujourd’hui, c’est une décision libre et romantique, centrée sur le choix d’une personne en particulier. Il s’agit d’amour, de romantisme, d’un projet de vie commune et d’une décision mûrement réfléchie, avec la liberté de construire cette relation selon les désirs et les valeurs des deux personnes impliquées, et d’elles seules ». Un moment de vie intime partagé avant tout par les deux personnes qui composent l’union et qui doivent maintenir une priorité sur ce duo : un avis partagé par Eric qui l’exprime avec sa capacité de synthèse habituelle : « Faites surtout ce qui vous plaît, car au final c’est votre mariage, pas celui de vos invités ni des réseaux sociaux ! ».
Mais s’il est résolument ancré dans une scène créative très contemporaine, Eric avoue aussi voir dans le mariage un héritage de vertus passées : « L’idée du mariage pour nous deux était très importante ; nous avons tous deux une histoire familiale assez ‘classique’, avec des parents mariés et toujours ensemble. Je pense que cela nous a donné certaines valeurs qui contrastent avec le contexte social actuel où tout est vite remplaçable et ne vaut pas le coup d’être réparé, par exemple. Se marier, c’est aussi faire la promesse d’affronter et surmonter ensemble d’éventuels problèmes futurs au lieu de tout claquer du jour au lendemain ».
ET L’APRÈS ?
À quelle vitesse le « high » du mariage redescend-il ? Une fois unis, le quotidien change-t-il ? Les questions et les premiers mois qui suivent l’union officielle par le mariage peuvent s’avérer assez intenses. Une sorte de « retour à la réalité », après une phase de préparation généralement plus festive pendant laquelle l’expression « l’anticipation est la plus belle des joies » prend tout son sens, selon Maxime Miltgen. Elle précise : « L’excitation du mariage dure en réalité jusqu’à peu de temps avant la cérémonie. Pour nous, toute la période des préparatifs et ces mois d’attente joyeuse étaient tout simplement inestimables. Chaque décision et chaque étape de l’organisation nous ont apporté du plaisir, et cela nous a permis de nous concentrer pendant des mois sur quelque chose de positif et réjouissant — à condition d’aimer organiser ! ». Un temps comme accéléré pour Eric également, mais qui confie que l’après n’est pas tant différent de l’avant : « Pas grand-chose ne change je pense, à part peut-être le fait que dans les moments tendus, on peut voir au-delà plus facilement, car on sait qu’on a quelque chose ensemble de plus grand que chacun – et puis c’est toujours marrant de voir la bague à notre doigt et de se dire : ah oui tiens, on est mariés ! ».
Maxime, quant à elle, voit une évolution plus significative, mais très naturelle dans l’après-mariage : « On pourrait penser qu’un mariage ne change pas grand-chose, puisqu’il s’agit ‘seulement’ d’un contrat entre deux personnes et l’État – et qu’il s’agit principalement de célébrer son amour devant ceux qu’on aime. Pourtant, c’est justement ce lien qui élève la relation à un niveau supérieur. On ressent que l’on est encore plus profondément liés. Je pense que cela réside surtout dans la volonté de garder la relation vivante pour les décennies à venir, et d’être prêt à se battre pour elle, même dans les moments les plus difficiles ».
« Le mariage doit être fondé sur un malentendu mutuel », déclarait Oscar Wilde dans Le Fantôme de Canterville et autres nouvelles : près de 150 ans plus tard, la jeune génération de mariés semble vouloir lui faire un pied de nez, en prouvant que la somme des deux vaut bien plus que chaque partie qui la compose – et bien plus longtemps.
HAPPY ANNIVERSARY !
Si l’euphorie de la cérémonie semble retomber à une certaine vitesse – et parfois même peut-être trop vite – rappelons la première « nouvelle » occasion de célébrer un mariage tout frais : celle qui donne leur titre à ces pages, les noces de coton ! Alors que Filipe et Maxime d’un côté et Charline et Eric de l’autre vont bientôt se souhaiter un « joyeux premier anniversaire, mon amour », qu’est ce qui peut bien passer par la tête de ces jeunes marié.e.s ?
« Pas forcément plus d’excitation que pour notre anniversaire de couple ou la Saint-Valentin. Nous n’accordons pas tant d’importance à ces journées en particulier. Ce qui compte pour nous, c’est de célébrer et profiter de notre vie commune au quotidien. Et bien sûr, nous nous réjouissons surtout de vivre enfin notre voyage de noces ! », conclut Maxime, tandis qu’Eric pense plutôt que « ça sera à mon avis un peu comme dans les films, où le mec oublie la date et se fait sévèrement taper sur les doigts ! ». Le mariage contemporain semble donc garder de profondes valeurs d’investissement commun et de longévité, mais pourrait bien vite se débarrasser des célébrations un tantinet obsolètes qui jalonnent son parcours…
Article initialement publié dans Femmes Magazine n°262 édition de janvier 2025, à retrouver ici.