Par Cadfael

Le marché de l’art a été très dynamique durant les mois de pandémie. Ce qui pour les uns signifiait restrictions, mal de vivre et même chômage ou faillite est devenu pour d’autres une source de richesse spéculative conséquente. En ce domaine, 2021 aura vu l’explosion du marché des NFT : un nouveau jeu pour hyper riches reliant une forme d’art et le monde du virtuel.

Les NFT, la nouvelle loterie ?

Sous ce sigle qui signifie « Non Fungible Token » ou en français « jeton non fongible » se cache une technologie numérique analogue à celle utilisée dans les bitcoins. Elle sert à authentifier la propriété d’une création digitale artistique, un tableau, une musique ou une animation. Ce sont des codes complexes constitués de suites de nombres représentés en système binaire par des groupes de 0 et de 1. Elles sont uniques et non interchangeables et liées à une création numérique : œuvre d’art ou musique.

Ce jeton cryptographique est stocké sur un registre numérique appelé “blockchain”. Dans un blog d’avril 2018, Deloitte France a défini la blockchain comme « un système décentralisé qui permet d’effectuer des échanges de données et des transactions financières de manière sécurisée, de partager ces informations dans un registre ouvert, et de conserver les historiques des transactions et données de manière permanente, immuable et horodatée ». Donc à priori un système numérique donnant toutes les garanties de transparence de traçabilité et de sécurité qui suit les tribulations de l’œuvre en fonction de ces cessions.

Everyday : The first 5000 Days

C’est le nom donné à une œuvre digitale de l’artiste américain Beeple, de son vrai nom Mike Winkelmann. Né à Fond du Lac dans le Wisconsin en 1981, ce designeur graphique s’est fait un nom comme artiste inspiré par la pop culture. Il inscrit dans ses sujets certaines critiques sociales et politiques. Son œuvre sur les 5000 premiers jours est un collage de 5000 images digitales. Il a débuté son projet journalier le premier mai 2007. Elle contient entre autres, des images qui dénoncent des stéréotypes racistes, homophobes et misogynes. Certaines images du début sont dessinées à la main et ne sont pas d’origine numérique. L’œuvre a été achevée le 21 février 2021. Elle est en format digital JPEG. Ses dimensions sont de 21,069 × 21,069 pixels.

Des critiques d’art ont réussi le tour de force de le comparer au maître hollandais Jérôme Bosch, peintre ayant vécu au XVe siècle. Cet ensemble de pixels a été adjugé par Christie’s l’année dernière pour un montant record de 69.3 millions de dollars en équivalent bitcoin. L’acheteur est un informaticien de Singapour, actif dans les cryptomonnaies et créateur du projet « Metapurse nft », un fonds d’investissement actif dans les NFT art ou musique. En novembre de l’année dernière une seconde œuvre de Beeple : Human one s’est vendue pour 28.9 millions de dollars également chez Christie’s.

Sotheby’s n’est pas en manque avec des œuvres vendues par des artistes comme Cryptopunk pour 11.8 millions de dollars, mais ce sont les ventes chez Christie’s qui auront donné des lettres de noblesse aux NFT. Avant cela c’était tout au plutôt considéré comme un passe-temps pour geeks.

Le business de l’art se porte bien

En 20 décembre dernier la maison de vente Christie’s, annonçait un résultat pour l’année de pandémie 2021 de 7.1 milliards de dollars. Un bon score par rapport aux « tristes » 4.4 milliards l’année précédente.

Christie’s par contre se targue d’avoir vendu les deux œuvres les plus chères de l’année : un Picasso pour 103.4 millions de dollars et un Basquiat de pour 93.1 millions. Dans le communiqué du groupe, on souligne également la vente de la collection Cox pour 332 millions de dollars : elle comprenait trois Van Gogh.

Sotheby’s n’est pas en reste selon un article paru dans « The Art Newspaper » du 15 décembre avec un chiffre d’affaires qui « dépasse 7.3 milliards de dollars ». Sotheby’s a remporté la bagarre à couteaux tirés avec le rival Christies pour la vente sur ordonnance judiciaire suite à un divorce de la collection Macklove. La première des deux ventes prévues produira 677 millions de dollars, taxes comprises.

Les deux maisons de ventes constatent que leur clientèle se rajeunit et achète surtout par téléphone ou online. Sotheby’s acheté en 2019 pour 3.9 milliards par Patrick Drahi patron d’Altice, groupe actif majoritairement dans les télécommunications redevient une machine à cash. Avec un endettement de « 30 milliards d’euros » selon la tribune du 30 mai dernier, Altice Europe, qui finance ses opérations d’acquisition par la dette est considéré comme un risque selon la presse financière. L’art serait-il devenu un jeu lucratif pour financiers ? Pauvres artistes.