Texte : Cadfael

Le monde méditerranéen, tellement proche et tellement lointain, nous gratifie de personnages hors normes, jalonnant leur passage de progrès.

Une inconnue célèbre

Elle s’appelait Nawal El Saadawi. Quasi-inconnue du monde européen, même si à un moment de sa vie elle enseignait à la Sorbonne, elle nous a quittés le 21 mars, décédée dans un hôpital du Caire à l’âge de 89 ans. Notre monde européen centré sur lui-même n’a pas pris note de son départ, à quelques exceptions près. Il en est autrement du monde anglo-américain où cette célébrité a été élue en 2020 par le Times comme l’une des 100 femmes les plus influentes du siècle. Le Guardian et d’autres lui consacrent une nécrologie respectueuse.

Née au Caire, son premier coup d’éclat tombe à l’âge de 10 ans. Ses parents voulaient arranger son mariage. Mais cette jeune rebelle avait décrété qu’elle ne se marierait jamais. Pour saboter cette démarche parentale, elle a mâché de l’aubergine crue afin de colorer ses dents, ce qu’évidemment lui valurent les foudres de la famille.

Elle ne suivait en cela que l’exemple du père fonctionnaire au ministère de l’Éducation nationale au Caire. Il avait été limogé dans une ville du delta du Nil pour avoir manifesté contre l’occupation anglaise. Comme la sanction du limogeage ne suffisait pas, son père n’a pas eu de promotion pendant dix ans. Seconde d’une fratrie de neuf Nawal a toujours été fière de son teint foncé qui était censé prouver sa descendance de par sa mère, d’une riche famille ottomane.

Malgré la tentative de mariage à dix ans et l’excision à six ans, l’éducation des enfants était relativement libérale pour l’époque et le lieu. Orpheline de père et mère très jeune, elle devait travailler pour aider à l’entretien de la famille, ce qui ne l’empêchait pas de faire des études en médecine qualifiées de brillantes, à l’université de du Caire où elle obtiendra son diplôme en 1955.

Femme et sexe

À l’image de son père, elle sera une révoltée permanente. Son travail en tant que médecin installé en milieu rural, elle avait choisi de retourner dans le delta du Nil, lui a permis d´observer et de décrire les problèmes physiques et psychologiques des femmes qu’elle relie à des pratiques culturelles patriarcales oppressives. De plus elle est touchée par les inégalités et la dureté des conditions de vie des femmes. Après avoir tenté de protéger l’une de ses patientes contre ce qu’on appellerait aujourd’hui de la violence domestique, elle est « promue » au ministère au Caire où elle occupera le poste de Directrice.

Se battant pour les femmes et contre les violences de toutes sortes faites aux femmes, et surtout l’excision, elle publiera en 1976 un ouvrage au titre ravageur dans un milieu de culture islamique : « Femme et Sexe. » Ce texte est considéré comme fondateur d’une vision moderne du féminisme pour sa dénonciation de l’excision et des violences conjugales. Déjà agacé par ses activités militantes politiquement très dérangeantes, elle sera virée illico presto du ministère de la santé et perdra également ses fonctions comme directrice de la revue de santé et de secrétaire générale adjointe de l’ordre des médecins.

« Mémoires d’une prison pour femmes »

De 1973 à 1976 elle fera de la recherche sur les névroses féminines à l’université Ain Shams, université publique pour ensuite s’exiler et travailler comme conseillère de l’ONU sur un sujet qu’elle connait bien : la condition féminine en Afrique et au Moyen-Orient tout en continuant à publier et à demeurer une épine aux pieds des pouvoirs politiques égyptiens. 

De retour en Égypte, sa participation à la création de la revue « Confrontation » déclenchera la fureur des autorités religieuses égyptiennes et lui vaudra la prison, avec un millier d’autres libéraux, sur ordre du président Sadat. Selon le Guardian on l’accusait officiellement de comploter avec la Bulgarie pour renverser le régime du Caire. Elle qualifiera cette accusation comme un très mauvais argument, ne connaissant rien à la Bulgarie et oubliant même parfois où ce pays se situait géographiquement. Derrière les barreaux on lui a interdit d’écrire, ce qui ne l’arrêtera pas. Elle rédigera ses mémoires sur du papier hygiénique utilisant pour écrire un crayon de maquillage. Son ouvrage sera édité en 1983. Elle sera libérée un mois après l’assassinat de Sadat. Ironie suprême en prison elle posera les fondations de `l’Association des Femmes arabes.

Des menaces de mort

Indomptable elle continuera sa bataille pour la cause des femmes. En 1982 elle légalisera l’Association des Femmes arabes. Son activité inlassable lui vaudra des menaces de mort de la part des islamistes radicaux. Elle s’exilera aux États-Unis où elle donnera des cours et conférences dans un nombre impressionnant d’universités, parmi les plus célèbres comme Yale, Harvard etc… De retour au Caire elle continuera d’enseigner et de militer, se présentant même aux présidentielles en 2005, un outrage pour les islamistes de tout poil. 

Comme elle l’a fait remarquer elle-même, elle devenait de plus en plus radicale avec l’âge sur tous les sujets traites jusqu’alors y ajoutant un anti-américanisme et anti-israélisme ainsi pour faire bonne figure une condamnation des pèlerinages à la Mecque. Ce mois de mars les femmes arabes ont perdu avec une pionnière de la lutte pour les droits des femmes et l’égalité des sexes qui parfois dérangeait tous les bords.

Et la guerre des sexes continue à faire des victimes

Aujourd’hui selon France Culture de février 2021, les mutilations génétiques sont pratiquées dans 31 pays en Asie, Afrique et Proche-Orient. « Si rien n’est fait d’ici 2030, 68 millions de filles risquent de subir une excision /…/alors que la pandémie de Covid-19 entrave la lutte contre ces pratiques. Restent toutes les autres formes de contraintes faites aux femmes et aux filles, parmi lesquelles les mariages forcés d’enfants et d’adultes, le manque d’accès à l’éducation, les trafics humains, pour n’en citer que quelques-uns.

L’attentat de samedi dernier à Kaboul, dans un climat politique encore plus lourd que d’habitude, n’en est qu’une triste illustration. 60 victimes, la plupart des filles, lorsqu’un enturbanné a fait sauter une bombe près d’un Lycée. Cela s’est produit en écho à une attaque perpétrée il y un an sur une maternité, massacrant 24 femmes, enfants et bébés.

Ce genre d’acte ne nécessite aucun commentaire, l’obscurantisme fanatique étant loin d’être éteint.