Les nouvelles technologies évoluent rapidement. Et les entreprises doivent continuellement s’adapter pour rester compétitives sur leurs marchés. Comment la formation peut-elle répondre à leurs défis numériques ? Pour Muriel Morbé, directrice de la House of Training, il faut rester curieux et saisir les changements comme des opportunités d’innovation et de compétitivité.

Rédaction : Marc Auxenfants

Muriel Morbé, quelles sont les principales demandes de la part des entreprises en matière de formation au numérique ?

Le besoin des entreprises en digitalisation n’est pas nouveau mais il s’est fortement accéléré pendant la crise sanitaire et depuis la montée en puissance de l’intelligence artificielle. Aussi, la digitalisation n’est plus l’affaire des seuls spécialistes IT de l’entreprise ; elle concerne les dirigeants eux-mêmes, qui doivent désormais l’intégrer dans leur réflexion stratégique, pour notamment simplifier leur processus et rester compétitifs sur leur marché. Cette tendance se ressent dans les demandes de formation que nous recevons de leur part. Par conséquent, nos programmes de formations, nos certificats et certifications dans les domaines RH, du management ou encore du marketing, intègrent depuis plusieurs années déjà le volet digital, qui est désormais omniprésent dans l’entreprise.

La conformité réglementaire est un autre sujet récurrent exprimé par les entreprises. Tout comme la cybersécurité, qui est devenue un défi très important pour les dirigeants d’entreprise. Ici, la formation est notamment axée sur la sensibilisation des collaborateurs face aux dangers et aux attaques cyber, plus particulièrement en contexte de travail hybride.

Concernant l’IA, les entrepreneurs ne peuvent plus ignorer son caractère disruptif.

Muriel Morbé, CEO House of Training

Ils doivent l’intégrer dans leur réflexion, dans leur stratégie et dans leur fonctionnement : par exemple, quand il s’agit d’automatiser les tâches répétitives, ou encore de gérer et de valoriser des informations et des données. Car l’intelligence artificielle peut s’avérer un outil précieux dans la prise de décision stratégique de l’entreprise et permet aux collaborateurs de se concentrer sur les tâches à forte valeur ajoutée. Nous avons développé un programme de formations métiers sur l’IA générative, que nous étendons actuellement aux secteurs. Mais la thématique nécessite aussi l’adhésion des dirigeants et un accompagnement de ces derniers.

Quels sont les besoins de formation des entreprises en matière de travail hybride ?

Le monde n’est plus le même. Certaines entreprises sont déjà à l’aise avec ces pratiques, mais beaucoup d’autres ne le sont pas encore. La perception du travail hybride par les collaborateurs diffère selon les générations. Aujourd’hui dans les grandes entreprises, quatre générations différentes d’employés cohabitent, avec des modes de fonctionnement différents. Et nous devons voir cela comme une opportunité d’échange et de création de valeur. Vous avez les salariés qui sont nés avant l’ère digitale ; vous avez les « digital natives », et parmi elles la génération Z, qui est arrivée sur le marché du travail durant ou après le COVID, qui a grandi avec le téléphone portable, et qui n’a pas connu le monde d’avant l’iPhone ni des réseaux sociaux. Ce qui n’est pas sans impact sur la collaboration multigénérationnelle, le travail intergénérationnel, le partage des connaissances, qui sont devenus des sujets primordiaux dans notre monde digitalisé actuel et dans un contexte d’évolution très rapide de nos outils et habitudes de travail.

Quid du volet e-commerce ?

L’e-commerce représente un défi majeur de la digitalisation, car il mobilise de nombreux leviers : marketing, technologies, automatisation des processus métiers et relation client. Face à l’évolution des habitudes d’achat et des attentes en matière d’expérience utilisateur, les besoins en compétences sont nombreux. C’est pourquoi nous développons des programmes de formation adaptés, permettant aux professionnels d’acquérir les outils et stratégies nécessaires pour réussir dans cet environnement en constante mutation.

Plus généralement, quels sont les grands défis des entreprises en matière de formation continue ?

D’une part, les entreprises connaissent des difficultés économiques et financières, et doivent faire attention à leurs budgets et dépenses. Dans ce contexte, elles tendent à réduire en premier lieu leurs budgets de formation. Paradoxalement, la vision des salariés a changé vis-à-vis de l’entreprise. Le sentiment de loyauté d’autrefois n’existe plus. Les organisations doivent donc redoubler d’efforts pour attirer des talents compétents, pour les intégrer puis les garder. Cette stratégie d’acquisition et de rétention de personnel passe aussi par la formation. De même, les grandes entreprises n’ont pas la même approche au sujet de la formation que les PME ou TPE. Les premières disposent souvent de départements dédiés, qui structurent des parcours adaptés à leurs besoins stratégiques.

À l’inverse, les PME et TPE n’ont généralement pas de ressources internes dédiées à la formation. Dans ces structures, le dirigeant est souvent le premier à se former. Lorsqu’un collaborateur suit une formation, son absence peut impacter l’activité, ce qui représente un frein à l’investissement dans la formation continue. En matière de gestion du changement, un des grands facteurs de réussite du projet c’est l’adhésion des collaborateurs. Nous proposons aussi des formations sur l’accompagnement au changement, car dans ce domaine, il existe des besoins de la part des entreprises. Et d’une façon plus générale, nous pensons qu’il faut rester curieux et ne pas craindre les changements qui arrivent ; il faut plutôt les saisir comme des opportunités, pour être plus innovant et plus compétitif.

Quelles sont vos préconisations en matière de formation digitale des entreprises ?

Une de nos missions est de sensibiliser les entreprises et leurs salariés à l’importance de la formation professionnelle, qui est aujourd’hui plus que jamais fondamentale. Et ce, non pas uniquement pour survivre, mais surtout pour rester compétitifs sur le long terme. Quand on parle de coûts de formation, ce n’est pas seulement le prix même de la formation qu’il faut prendre en compte. Il s’agit aussi du coût pour l’entreprise de l’absence des collaborateurs envoyés en formation.

Aussi, dans le domaine des compétences clés comme la digitalisation, nous pensons que la sensibilisation, les aides et le cofinancement de la formation doivent être renforcés pour encourager les entreprises à se former sur ces compétences. C’est aussi une revendication de la Chambre de Commerce. Certes, les organisations ne perçoivent pas toujours ces aptitudes comme un besoin immédiat. Toutefois, d’une façon ou d’une autre, ce besoin en compétences digitales se posera demain comme un défi pour l’entreprise.

Les compétences digitales ne concernent pas uniquement le secteur privé, mais l’ensemble de l’économie luxembourgeoise.”

Muriel Morbé, CEO House of Training

L’État, les administrations et les communes doivent aussi accélérer la numérisation des services et des processus administratifs, la simplification administrative, etc., sont également des arguments importants pour le positionnement et la compétitivité internationale du Luxembourg. Le monde change rapidement. Et savoir s’adapter est devenu une compétence essentielle. Aussi, la formation continue et l’apprentissage tout au long de la vie prend une dimension toujours plus importante au niveau personnel, professionnel et économique. Alors restons curieux.

Cette interview a été initialement publiée dans le Femmes Magazine numéro 264 de mars 2025.