Il y a fast fashion… et ultra fast fashion. La frontière entre les deux est mince. Une loi votée la semaine dernière au Sénat français tente de limiter l’influence de l’ultra fast fashion — une première en Europe.
Par Cadfael
C’est (encore) la faute à Zara
L’emblématique marque du groupe Inditex est souvent considérée comme le berceau de la fast fashion. La paternité du terme est généralement attribuée au New York Times, lorsque Zara a ouvert sa première boutique à New York en 1989. Anne-Marie Schiro, journaliste au NYT, est à l’origine de cette expression. Elle décrivait alors ce nouveau langage de la mode comme « un langage compris par les jeunes fashionistas à petit budget, qui changent de vêtements aussi souvent que de rouge à lèvres. Deux nouvelles boutiques sur Lexington Avenue, à un pâté de maisons l’une de l’autre, se disputent désormais ces jeunes femmes en quête constante des dernières tendances. » L’une d’elles était Zara.
Le terme « fast fashion » désignait la rapidité de production : les Espagnols étaient capables d’amener un modèle, de sa conception à sa commercialisation, en seulement quinze jours. Dès les années 2000, il englobait des enseignes comme H&M, Zara, American Apparel, Forever 21 ou encore Abercrombie & Fitch.
Fondé en 1985 à La Corogne, en Espagne, le groupe Inditex — maison mère de Zara — connaît une croissance fulgurante, à l’image de l’ouverture du premier Zara en 1975. En 2024, le groupe emploie plus de 162 000 personnes et génère un chiffre d’affaires de 36 milliards d’euros.
Aujourd’hui, Inditex affirme vouloir privilégier la qualité à la quantité. Une montée en gamme qui devrait permettre à Zara de se repositionner au-delà du simple registre de la fast fashion. Le groupe aligne désormais plusieurs marques : Zara, Pull&Bear, Massimo Dutti, Bershka, Stradivarius, Oysho, Lefties et Zara Home — soit 7 200 points de vente dans 93 pays. Lefties joue ici le rôle de marque ultra fast fashion, pensée pour concurrencer les produits chinois.
En 2024, Zara comptait 2 264 magasins à travers le monde, soit une baisse de 22,5 % depuis 2020. Une réduction en cohérence avec la nouvelle stratégie du groupe, qui mise désormais davantage sur les ventes en ligne.
Fast fashion versus ultra fast fashion
Aujourd’hui, l’ultra fast fashion pollue la planète. Le site « Good On You » la décrit comme l’aboutissement logique d’un mouvement amorcé bien plus tôt… sur YouTube.
Avec ses trois millions d’utilisateurs annuels, Good On You s’est imposé comme l’une des références mondiales en matière d’évaluation de la mode éthique et environnementale. Selon la plateforme, tout commence en 2020, sur TikTok. Une jeune femme y déballait, sur une mélodie de Taylor Swift, paquet après paquet de vêtements. Résultat : 700 000 likes. Ce type de vidéo relance et accélère un phénomène qui avait vu le jour dans les années 2010 mais s’essoufflait déjà sur YouTube.
« Qu’est-ce que l’ultra fast fashion ? En termes simples, expliquent les experts de Good On You, les marques d’ultra fast fashion poussent à l’extrême tous les travers de la fast fashion. Cela signifie des cycles de production encore plus courts, des tendances qui évoluent encore plus vite… et une arrivée plus rapide à la décharge. »
Autre dérive dénoncée : l’omniprésence du plastique. « La moitié des vêtements sont fabriqués à partir de plastiques vierges. Ces fibres synthétiques relâcheront pendant des années des microfibres dans les cours d’eau et dans l’air. » Résultat : un impact dramatique pour les travailleurs comme pour l’environnement.
Et la tendance ne fait que s’aggraver.
La France contre la fast fashion
Après son adoption en mars 2024 par l’Assemblée nationale, le Sénat français a voté à l’unanimité, le 10 juin dernier, une proposition de loi visant à limiter l’impact environnemental de la fast fashion. Les sénateurs ont recentré le texte sur la « mode ultra éphémère », ou « mode ultra express », selon les termes retenus.
La définition légale de la fast fashion repose désormais sur plusieurs critères : volume de production, vitesse de renouvellement des collections, faible incitation à la réparation des produits ou encore durée de vie limitée. Selon la rapporteuse du texte, cette définition s’appuie désormais sur le nombre de références mises en ligne, un seuil fixé par décret.
Cette frénésie de consommation est largement portée par une communication agressive. Selon Radio France, entre 2010 et 2023, le nombre de vêtements mis sur le marché en France est passé de 2,3 à 3,2 milliards d’unités — soit 48 vêtements par personne… et 35 pièces jetées chaque seconde. Le Sustainability Magazine note également une envolée de la publicité sur ce segment : 2,3 milliards de dollars en 2010, contre 3,2 milliards en 2023 rien qu’en France.
La loi cible en particulier les géants chinois du secteur, tels que Temu ou Shein. « Alors que le Sénat avait supprimé en commission l’interdiction de la publicité pour les entreprises de mode ultra éphémère, celle-ci a été réintroduite à l’initiative du gouvernement, assortie d’un volet de sanctions à l’encontre des influenceurs », précise le texte.
Des pénalités sont prévues : minimum 5 euros par produit en 2025, puis 10 euros en 2030, dans la limite de 50 % du prix hors taxe. Un système de bonus-malus sera instauré pour les marques de fast fashion, en fonction de leur transparence environnementale, via un écoscore.
Les enseignes européennes — telles que H&M, Kiabi, Primark ou Zara — devront fournir des informations précises sur l’impact écologique de leurs produits. Celles qui s’y conformeront pourront continuer à communiquer et seraient exemptées des pénalités les plus lourdes.
En septembre, le texte sera transmis à une commission mixte paritaire composée de sénateurs et de députés. La Commission européenne devra également être informée, afin de vérifier la conformité de la loi avec la réglementation européenne. Elle sera ensuite soumise à la signature du président de la République.
Jugée trop timide ou trop tardive par certains, cette loi a au moins le mérite de poser un premier jalon dans un univers de la mode encore dominé par le gaspillage. En pleine période de soldes, il ne serait pas inutile de s’en souvenir.