On peut juger la mode et les stylistes de bien des manières, il n’en demeure pas moins que l’impact de certains d’entre eux ainsi que de leurs créations amplifie des changements sociétaux profonds. Il en va ainsi de Mary Quant, décédée le 13 avril 2023 à l’âge de 93 ans.
Par Cafdael
Bazaar, le must
La citoyenne de sa très gracieuse majesté Mary Quant est née le 1 février 1930 de parents gallois enseignants de langues. Son Alma Mater est la Goldsmiths University de Londres. Après avoir travaillé chez un modiste de renom elle ouvre en 1955 en association avec son mari et son comptable sa première boutique qu’elle baptise Bazaar. Au sous-sol son mari fait fonctionner un restaurant avec des soirées rock et jazz mémorables. Situé sur Kings road dans le quartier de Chelsea la boutique sera réaménagée en 1965 par le designer sir Terence Conrad, créateur d’Habitat, la chaine d’ameublement rachetée bien plus tard par un groupe français. Bazaar deviendra un haut lieu de rendez-vous de la gentry du monde rock pop et associés surfant sur un mélange de musique pop, de design et d’art. On pouvait y côtoyer les Beatles, les Rolling stones aussi bien que la Bardot ou Audrey Hepburn.
Une créativité dérangeante
Mary Quant est considérée par la presse comme l’une des deux stylistes du paysage londonien de la mode qui a été la première à offrir une mode jeune et dépoussiérée a la jeune génération. L’autre était Kiki Byrne, sa rivale qui avait également ouvert sa boutique dans King’s road, toutes deux auront une influence fondamentale dans la nouvelle vague de l’habillement. Un grand magazine écrira que Mary Quant fournira le look et les Beatles le son.
Dans ce Londres des années soixante en effervescence où chaque innovation était absorbée par une jeune génération qui ne supportait plus la lourdeur du conservatisme ambient Mary Quant a réussi à démocratiser les jupes et culotes très courtes en les associant à des couleurs joyeuses et vives. Son « Chelsea Look » avec des imperméables en plastique transparent, les maquillages boite de peinture aux couleurs vives et ses mascara waterproof seront aspirés par toutes une génération et avec la révolution rock et pop feront hérisser les cheveux et les âmes des conservateurs.
En 1971 elle inaugure un « make up bus » qui sillonnera les provinces jusqu’au Canada et Venezuela et popularisera un rouge à lèvres teint « rouge bus anglais » au grand dam de la pruderie conservatrice. La vague amorcée banalisera le port du pantalon pour femmes bien au-delà des frontières de l’empire britannique ce qui dans une Europe largement dominée par une morale religieuse surannée fera grincer bien des dents. Ses collants colorés à motifs portés avec des jupes très courtes seront un plaisir et pour les femmes et pour la gente masculine. Elle exportera aux Etats Unis par le biais d’une association avec la chaine des grands magasin JC Penney ce qui fera d’elle et de sa mode irrévérencieuse une des fashion icones plébiscitées par les américaines.
Immoral ?
Un historien note : « Le style de Mary Quant a été qualifié par certains d’«immoral » et de «dégoûtant». Ce qui ne l’a pas empêché de recevoir l’Ordre de l’Empire britannique au palais de Buckingham, le 15 novembre 1966 ». Les français se disputent la primauté de l’invention de la minijupe, pour eux ce serait une création d’André Courrèges. Les créations de Courrèges n’ont guère eu cette diffusion populaire et n’étaient pas intimement associées à un mouvement culturel et social aux répercussions mondiales. John Bates, le styliste qui a créé les vêtements de Diana Rigg, Emma Peel de Chapeau Melon et Bottes de Cuir en 1965 est pour certains considéré comme le père du mini. D’ailleurs le look de Emma Peel n’est-il pas « Quantien » ?