A 40 ans, Mary Faltz redécouvre la joie de vivre après de longues années de souffrance. Cette scientifique, cette mère qui élève seule 4 enfants de 5 à 12 ans, travaille sur le terrain de l’éducation pour un projet de prévention des violences sexuelles faites aux enfants. Elle s’est aussi tournée vers l’écriture, bien décidée à ne plus taire les injustices et refusant l’inaction sociale. Résiliente, elle se raconte ouvertement autour d’un café au Paname.
Karine Sitarz
Vous êtes née loin du Luxembourg, quels souvenirs avez-vous de vos premières années ?
Je suis née près de Dubaï, mais n’y ai vécu que jusqu’à 3 ans, je n’ai donc pas de lien avec ce pays, puis nous sommes passés par l’Angleterre avant de venir au Luxembourg. Quant à l’Egypte, j’y suis allée quelques fois, mais j’ai développé une allergie à ce pays, comme à tout ce qui est lié à celui qui a abusé de moi. Je suis luxembourgeoise, mais très attachée à l’Angleterre, j’y ai vécu 11 ans et j’écris en anglais.
Qu’est-ce qui a motivé votre arrivée au Luxembourg ? Comment s’est passée votre intégration ?
Nous avons découvert le pays par hasard, lors de vacances à Remich, avant de nous y installer. A l’école primaire, j’ai le souvenir d’avoir été « l’étrangère de la classe », la brune au milieu des petits Luxembourgeois qui me disaient « retourne chez toi dans les pyramides » et personne ne me tenait la main dans la cour alors que je vivais un enfer à la maison.
Cette enfance vous la racontez dans un livre, « Trahie dans sa chair ». Endurant un calvaire, comment avez-vous trouvé la force de vivre votre vie d’enfant puis de faire de brillantes études ?
J’ai dû développer une grande résilience depuis toute petite parce que j’étais toujours seule, sans personne de référence, sans cercle de confiance. Je n’avais que mon intuition pour me prévenir du danger, c’est elle qui m’a toujours sauvé la vie. J’ai 5 frères et sœurs (ndlr : dont le réalisateur Adolf El Assal) mais c’était 5 contre 1 parce que le père a alimenté leur jalousie pour isoler la victime. Quand tu vis un enfer de violences, tu es en mode de survie. Je fonctionnais avec peu ou pas de sommeil. Les études ont été une échappatoire pour ne pas être submergée. J’ai toujours dissocié corps et esprit.
Pourquoi avoir choisi des études scientifiques ?
En fait, j’étais dans une filière technique alors que je voulais être prof d’anglais. Les railleries d’un enseignant m’ont boostée, j’ai eu le meilleur résultat au bac puis j’ai choisi les sciences, ai obtenu un master en pharmacie et continué dans la recherche. J’ai étudié en Angleterre, mais la distance physique n’a jamais été assez grande pour pouvoir m’échapper. La stratégie de l’abuseur est une manipulation, une véritable emprise.
Vous êtes pourtant revenue au pays…
Après mon doctorat en pharmacologie, je voulais m’enfuir en Australie. Mais j’ai rencontré un Luxembourgeois sur Internet et je suis revenue au pays. Nous avons eu 5 enfants, mais lors de ma dernière grossesse, j’ai compris qu’il me trompait. J’ai divorcé en 2019 avant d’accoucher. En 2020, j’ai eu un cancer, très agressif. C’était la pandémie, les médecins m’ont dit qu’il était trop tard pour la chimio ou l’opération, mais j’ai suivi mon intuition et suis partie en Allemagne où on m’a opérée.
C’est là que vous décidez d’écrire. Pouvez-vous nous parler de ce besoin d’écriture ?
J’ai eu si peur de mourir avec ma vérité qu’à l’hôpital j’ai commencé à écrire, pour mes enfants. Pour moi, c’était la phase ultime de la guérison. Je suis si reconnaissante de vivre, de voir mes enfants grandir ! L’écriture sert à exprimer des choses qu’on n’arrive pas à verbaliser. Elle est thérapeutique et libère, elle me permet de donner une voix aux gens qui n’en ont pas et elle est une arme puissante pour dénoncer les injustices et leurs auteurs.
D’où votre 2e livre, « Mon père – Notre bourreau condamné », paru l’an dernier ?
Mon père a régulièrement fait interner ma mère pendant 30 ans en psychiatrie à Ettelbruck ! Or elle n’était ni folle ni malade, ce que j’ai découvert en fouillant dans les archives. Il a inventé un diagnostic de schizophrénie, cherché de soi-disant preuves et convaincu des médecins ici. Après la mort de ma mère – on l’a laissée mourir d’un cancer ! – j’ai décidé d’exposer l’horreur qu’elle avait vécue. J’ai disséqué cet homme – que j’avais réussi à mettre en prison – dans ce livre qui remet aussi la société en question : les abus étaient exposés noir sur blanc, il n’y a pas eu d’action !
Pourquoi vous être tournée vers l’éducation nationale ?
Pharmacienne puis dans la recherche clinique, j’ai cherché un emploi plus stable, car je devais élever seule mes enfants, j’ai ainsi enseigné les sciences dans le secondaire avant de demander un reclassement pour mettre mon expérience au profit des enfants si peu protégés des violences sexuelles. D’où ce projet d’autodétermination du corps, qui s’appuie sur le théâtre et la musique, mené avec le SCRIPT. Je suis déjà allée dans 60 classes, j’ai formé des enseignants, réalisé un dossier pédagogique. Je veux protéger les enfants parce que moi je ne l’ai pas été.
Cela passe aussi par votre engagement politique ?
Grâce à mon bon score aux communales, la cause des droits de l’enfant a eu une résonance dans une société qui reste assez fermée. Je ne veux plus me taire. Je fais des conférences, des lectures, le 4 mars je serai à Differdange pour la Journée internationale des femmes. Et je poursuis mon engagement dans des commissions de la ville de Luxembourg.
Qu’est-ce que qui vous a donné cette force qui vous rend quasi indestructible?
Je pense que cette force mentale est d’une part innée et d’autre part acquise à force d’être sans cesse confrontée depuis mon enfance à des épreuves d’une violence inimaginable. Cette résilience a eu intense entraînement de sorte que mon corps s’est toujours retrouvé en mode de survie sans jamais pouvoir se reposer.
Cette joie de vivre, par contre, je l’ai toujours eue même en traversant l’enfer. Je suis convaincue que l’univers veille sur moi et j’écoute toujours mon intuition… toujours.
J’étais déterminée à ne pas laisser qui que ce soit me voler ce bonheur, convaincue d’avoir le même droit de vivre que les gens qui m’entourent vivant avec ce privilège d’insouciance, sans même en être conscient.
Comment recommencer à vivre normalement et être résilient après avoir frôlé la mort?
Il y a quelques années, je me suis trouvée face à ma mort après un diagnostic brutal d’un cancer très agressif suivi de traitements lourds. Mon plus jeune enfant avait un an. Souvent, les gens qui ont une expérience de mort imminente ont un déclic, une réalisation à quel point la vie est précieuse et à quel degré nous prenons la vie trop au sérieux en se focussant sur des choses sans importance.
Aujourd’hui, je me sens encore très décalée avec ma gratitude débordante. Je suis tout simplement heureuse de simplement respirer jour après jour, je n’arrive pas à me soucier de choses qui n’ont que peu d’ importance. Malheureusement nous prenons cette vie souvent pour acquis jusqu’à ce qu’elle soit menacée à ce point-là.
Dans quel état d’esprit êtes-vous aujourd’hui ?
Comme je l’ai dit à ma psychothérapeute, je touche au bonheur, j’ai mes enfants, ma petite maison, un job de rêve et mon cancer est en rémission.
Inscrivez-vous à notre newsletter pour découvrir tous les jeudis, des actus locales, des nouvelles tendances mode, des infos culture, business… C’est en un clic avec ce lien !