Libérer les femmes de la génération X de leurs (trop nombreux) carcans. Tel est l’un des objectifs de l’ouvrage “Eclore, Enfin ! Manifeste des femmes indociles”* de Marie-Laurence Cattoire. Cette cheffe d’entreprise, qui pratique la méditation depuis deux décennies, ne se contente pas de dresser le portrait d’une génération bombardée d’injonctions, entre complexes et culpabilité, elle donne également les clés pour aider les femmes à s’accomplir en tant que telles.

Pourquoi avoir choisi de faire de ce livre le “Manifeste des femmes indociles” ?

Ce livre sort les femmes de ma génération, à savoir la génération x, de l’angle mort dans lequel elles ont été injustement reléguées. Ces femmes ont relevé de véritables défis. Elles ont eu à répondre à des injonctions nombreuses et souvent contradictoires. Elles ont fait preuve de courage, de ténacité et d’une grande créativité aussi, pour tenir ensemble vie professionnelle, familiale, amoureuse… Et bien qu’elles n’aient pas été aussi revendicatives que leurs aînées, ces femmes ont manifesté une belle indocilité pour offrir une nouvelle place aux femmes d’aujourd’hui. Ce livre réhabilite leurs parcours et leur redonne place.

Comment expliquez-vous que cette génération soit sous-représentée dans les médias ? 

Quand j’ai commencé à enquêter pour écrire ce livre, j’ai effectivement été surprise de découvrir qu’aucune étude ni aucun ouvrage français ne parlaient de ces femmes. Est-ce parce qu’elles ont grandi dans un monde ou le mansplaining, loin d’être montré du doigt, était la norme ? Un monde dans lequel une femme était qualifiée d’hystérique si elle parlait un peu trop fort ? Cela a fait naître en elles un sentiment d’imposture, et les a aussi certainement incitées à se montrer discrètes pour garder une place durement gagnée, notamment dans le secteur professionnel. Conséquence : les médias ont considéré que ces femmes n’avaient pas grand-chose à dire. C’est pourtant par elles qu’est né le mouvement #meetoo…

Dès le début du livre, on ressent toute la pression quotidienne qui semble peser sur les femmes de cette génération. Quelles en sont les raisons ? 

C’est la première génération qui a pu entrer massivement dans le monde du travail. Des postes de secrétaires puis d’assistantes ont été créés par milliers en France dans les années 80 et 90. Pour autant, se marier et fonder une famille restait quasiment le point de passage incontournable d’une vie ‘épanouie’ ! C’est d’ailleurs pour cette génération de femmes que le temps partiel a été inventé. Temps partiel qui, au lieu de les libérer, s’est révélé un piège : ces femmes ont assumé deux à trois journées en une ! Les droits acquis par leurs aînées – droit de vote, droit d’ouvrir un compte en banque sans l’autorisation de leur mari – se sont transformés pour elles en devoirs. Il fallait assurer au travail, dans la vie sociale, en famille, à la maison… Les années 80 ont de plus imposé une image de réussite qui passait forcément par le fait d’être belle, mince et en pleine forme ! Tout cela crée un mix infernal qui pèse aussi bien sur la vie privée que la carrière professionnelle de ces femmes à qui l’on demande en permanence d’être des ‘wonder women’ sans toutefois les reconnaître à leur juste valeur.

Harcèlement, dépression post-partum, règles douloureuses… Il est question d’une génération pour laquelle ces sujets étaient tabous. Quelle incidence est-ce que cela a sur la femme que vous êtes aujourd’hui ? 

Le fait que ces sujets soient restés si longtemps tabous a généré beaucoup de souffrance morale et physique. Tout ce que l’on doit cacher fait mal. Et cela a contraint cette génération à trouver des solutions pour faire comme si ces phénomènes n’existaient pas. Pour oublier autant que possible ce corps douloureux et bien souvent seulement reconnu comme objet sexuel. Nous avons ainsi peu à peu appris à mettre de côté notre présence physique pour survaloriser le mental, le raisonnement, l’intelligence intellectuelle. Dans un monde où ‘l’expérience féminine a moins de valeur que la pensée d’un homme’, comme le souligne Iris Brey dans ‘Le regard féminin’, nous avons oblitéré notre intelligence corporelle croyant ainsi pouvoir moins souffrir et mieux rester dans la course. Il est toutefois impossible d’être réellement présente sans une vraie présence corporelle. C’est ce que nous apprend la méditation par exemple. Nous avons à nous réapproprier notre corps et à retrouver une relation plus juste à lui. En respectant notre sensibilité, notre intuition et toutes ces manifestations d’intelligence qui ne passent pas nécessairement par le mental. Apprendre à ‘réhabiter’ notre corps de manière pleine et entière, en cessant d’ignorer ses douleurs et ses cycles, nous redonnera de la puissance.

Vous parlez des réseaux sociaux comme ‘d’une chance’ pour les femmes. Pourquoi ? 

Les réseaux sociaux ont offert une opportunité inédite aux femmes. Pour la première fois, elles peuvent s’exprimer, créer et montrer leur travail sans passer par la médiation d’un agent, d’un journaliste ou d’un producteur. Par exemple, une artiste n’a plus besoin d’attendre le bon vouloir du monde du spectacle pour gagner son public. Un monde du spectacle jusqu’ici très majoritairement gouverné par les hommes. Devant ce déséquilibre paritaire choquant, les réseaux sociaux offrent une opportunité nouvelle aux femmes, et notamment aux artistes, de montrer leur travail sans intermédiaire. Instagram par exemple donne une voix aux féministes, aux humoristes, aux écrivaines, aux peintres, aux décoratrices, qu’elles avaient beaucoup de mal à obtenir auparavant.

Dans l’ouvrage, il est question d’une génération épuisée, complexée, qui se sent presque inférieure aux autres générations, ainsi qu’aux hommes… Mais ne dit-on pas au contraire que les quinquas et sexagénaires sont aujourd’hui plus décomplexées que jamais ?

C’est ce qu’on dit parfois oui… Mais est-ce bien vrai ? J’espère pour ma part que cette génération va trouver les moyens de se libérer de son complexe d’infériorité ! C’est le sens de mon livre qui veut remettre en lumière la force de ces femmes, et l’importance de ce qu’elles ont apporté à la société. Mais je pense qu’il y a encore un vrai travail de reconnaissance à faire, aussi bien des femmes de la génération X envers elles-mêmes que des générations suivantes. Mieux nous nous connaîtrons et reconnaîtrons, plus la sororité intergénérationnelle pourra s’épanouir. Nous en avons besoin.

Tout un chapitre aborde la question de la ‘renaissance’. Comment renaît-on à 50 ou 60 ans ?

La renaissance passe par la redécouverte de notre corps. La ménopause, par exemple, au lieu d’être crainte, nécessite d’être considérée et accueillie différemment. Aujourd’hui encore, alors que le vieillissement au masculin est valorisé de manière positive, comme une maturation et la preuve de l’expérience acquise, au féminin ce vieillissement est synonyme de disqualification sociale et sexuelle. C’est pourtant un moment d’évolution formidable dans l’existence d’une femme, à laquelle il est difficile d’accéder si elle est ignorée ou niée. Commence alors une deuxième vie, dans laquelle notre maturité, notre expérience, et notre sagesse, prennent un nouveau visage. Et si la ménopause, loin d’être une malédiction, était en réalité cette étape où le corps, libéré des douleurs traversées, entame un autre rapport à la sensualité, à la sexualité, à la tendresse ? Une autre relation au monde ? Renaître, c’est aussi entre nous, entre femmes, porter un nouveau regard sur nous-mêmes et sur nos semblables. Nous avons été intoxiquées par trop de stéréotypes et de codes esthétiques qui nous leurrent complètement sur ce qu’est une belle femme. Il y a heureusement mille manières d’être belles, aimables, désirables, vivantes, épanouies. Et cela nous pouvons le comprendre à 50 ou 60 ans mieux que jamais.

L’ouvrage aborde également la question de la méditation. Auriez-vous un exercice en particulier à conseiller ? 

Oui, un exercice tout simple, à la portée de toutes. C’est une méditation de bienveillance que l’on peut faire dès que l’on a quelques minutes devant soi. Coupez votre téléphone. Asseyez-vous sur une chaise, un fauteuil ou un coussin et restez immobile quelques minutes. Essayez de sentir votre corps. Essayez de sentir la faim que votre corps a de vous. Il vous attend. Il attend que vous le considériez : sa fatigue ou sa lassitude, ses inconforts, son excitation, ses crispations ou ses sensations de vie. Sans bouger, prenant cela en compte. Votre corps vous attend, il est vivant, il mérite toute votre attention. À présent, vous pouvez fermer les yeux, imaginez, toujours sans bouger, que vous prenez votre corps dans les bras. Vous pouvez être une mère pour vous et vous bercer. Vous pouvez aussi être une amante pour vous et vous inviter à danser. Imaginez-vous gentiment bercée, sensuellement dansée. Prenez soin de vous, de votre corps, laissez-le danser. Puis ouvrez les yeux doucement et reprenez contact avec la lumière et les sons qui vous entourent.Il y a autant de manières de retrouver sa sensualité qu’il existe de femmes.

La question des injonctions est omniprésente, notamment les diktats relatifs à la mode et la beauté. Comment se débarrasser des clichés sur la femme de 50 et 60 ans ?

Pour cela j’aurais envie de vous proposer un second exercice, une sorte de méditation en action qui m’a beaucoup aidée à changer mon regard sur les femmes. Je marche dans la rue, je prends le bus, je fais mes courses, je vois et je réalise : par automatisme je scanne les autres femmes, je les regarde de la tête aux pieds, prête à porter un jugement, à classer, à trier et… je m’arrête juste à temps ! Je me laisse attendrir par un regard fatigué. Par une démarche lourde. Par des rondeurs que je découvre désirables et non pas repoussantes. Je goûte la maladresse touchante d’un geste, d’une attitude, d’une tenue vestimentaire. J’entre en relation de manière plus réelle avec la femme, les femmes, au lieu de les enfermer dans une image. C’est un exercice à faire et à refaire chaque jour. Car chaque jour, ou presque, j’oublie à quel point je suis conditionnée par les magazines, les affiches, l’éducation, les réseaux sociaux. Mais quand je me prends en flagrant délit de jugement d’apparence, je découvre aussi que, une fois contré ce premier réflexe, mon regard devient de plus en plus tendre, amical, sororal. Un regard travaillé par le souci de l’autre, par le désir que l’autre trouve sa place. Pour que le monde aille mieux. Et c’est tellement soulageant.

* “Eclore, Enfin ! Manifeste des femmes indociles”, Marie-Laurence Cattoire, Editions Leduc.