Par Karine Sitarz
Artiste belgo-luxembourgeoise, Marie-Isabelle Callier est peintre, illustratrice et auteure de livres pour enfants. Elle travaille à l’émotion, guidée par ses souvenirs et son ressenti. Heureuse d’avoir pu faire de sa passion son métier, cette épouse de diplomate, mère de trois enfants, aime prendre le large. Quelques jours après la sortie de « Verdruddelt Geschichten », l’artiste nous confiait un peu de son parcours d’hier à aujourd’hui.
Vous avez grandi en Belgique. Y avez-vous un souvenir marquant par rapport à votre aventure artistique ?
J’ai grandi à Ohain, petit village en Brabant wallon, avec quatre frères et sœurs. On faisait tous de la musique (ndlr : elle fera 15 ans de violon). L’écriture était, elle aussi, déjà présente, et pour moi, le dessin. Quand je suis allée voir mon premier éditeur et qu’il a vu mes planches, il m’a conseillé d’écrire mes propres histoires. J’aime aussi partir d’un texte existant et faire résonner les mots. Pour La fascination de l’étang de Virginia Woolf, j’ai fait toute une série sur l’eau.
Quand est née votre passion pour la peinture ? Pourquoi avoir quitté le monde du graphisme pour celui du livre d’enfants ?
J’ai toujours voulu peindre, mais il a fallu persuader le monde adulte, ça a été un peu compliqué (rires). J’ai donc choisi d’étudier l’illustration à Bruxelles pour travailler dans la publicité comme graphic designer. Il fallait gagner sa vie. Les livres pour enfants sont venus en 2003, après la naissance de mon premier neveu. Avant, il y a eu des expos et une année à Bogotá entre 1995 et 96. Ma grand-mère belge avait épousé un Colombien, ils sont partis vivre là-bas. Il y a donc une genèse de l’ailleurs, des origines lointaines, des drames familiaux aussi, mes grands-parents ayant vécu deux naufrages avant d’y arriver. À 24 ans, j’avais besoin de tout lâcher, j’avais perdu mon jeune frère, poète trois ans plus tôt, je n’arrivais pas à avancer. Ce voyage a été un retour aux sources, à la réalité aussi.
Qu’est-ce qui vous a amenée à poser vos bagages au Luxembourg ?
Ah ! l’amour (rires). En 2000, j’ai rencontré mon Luxembourgeois et suis venue m’installer ici. Nous nous sommes mariés en 2002 et mon mari, diplomate, a de suite eu un poste à Bruxelles. C’est drôle de voir sa ville avec des yeux d’expat ! Nous y sommes restés de 2002 à 2007, mes 3 enfants y sont nés (ndlr : une fille étudiante et des jumeaux de 16 ans) puis nous sommes partis à Washington pour 4 ans. Mon mari m’a encouragée à continuer la peinture et les livres pour enfants, j’ai fait Bosses, Cabosse et Carabosse, Ma maman ballon et j’ai eu une expo avant de déménager à Shanghai. 2 années très chouettes avec 2 expos et un travail comme auteure sur Non et non pas question traduit en plusieurs langues dont le chinois. On m’annonce aujourd’hui, 10 ans plus tard, une 13e langue, le grec.
Vos livres sont souvent associés à de bonnes causes. Pouvez-vous en parler ?
Le premier, A Weed in my Head, est lié à l’histoire d’Isabella dont la petite sœur était dans la classe de ma fille à Washington. Enfant, elle a eu une tumeur au cerveau. Lors d’une marche parrainée, j’ai dit à sa maman : écris une histoire, je l’illustrerai. Elle a été imprimée pour lever des fonds pour la recherche. Il y a aussi eu Le secret de Xinmei pour l’association Couleurs de Chine, un livre sur les enfants de l’ethnie Miao écrit par Hélène Le Chatelier. C’était mon au revoir à la Chine, à mon retour en juin 2013.
Quid de Verdruddelt Geschichten, 1er prix de la catégorie « littérature d’enfance » au Concours littéraire national 2021 ?
Le livre vient de sortir chez PersPektiv éditions, chouette maison où j’ai déjà publié. Marc Weydert, enseignant, musicien et époux de diplomate, m’a demandé si je voulais illustrer ses petites histoires, elles m’ont bien plu. On était en pleine pandémie et n’avions pas de retour positif des éditeurs, mais je suis tombée sur l’annonce du concours. Voilà comment l’aventure a commencé…
Sur quels projets travaillez-vous ?
Actuellement, je présente un paravent dans l’expo sur l’artisanat d’art, Craft 3.0, au 1535° à Differdange dans le cadre d’Esch2022. Elle est montée par De Mains De Maîtres avec qui j’avais exposé en 2018 à Luxembourg et en 2019 à Paris. En 2023, j’aurai une nouvelle expo à la Galerie Simoncini, je la prépare. Dernièrement, j’ai fait des petits croquis à partir d’images de réfugiés ukrainiens vues sur Internet, des visages d’exil, surtout de mères et d’enfants, qui me touchent. Côté écriture, je participe à un atelier et ai de nouveau envie de faire un livre dans son entièreté.
Entre la peinture, l’illustration et l’écriture, votre cœur balance-t-il ?
Les trois cohabitent, c’est une source de stress. Pour un livre, il faut rester concentrée deux à trois mois. La peinture, c’est au quotidien. J’aime l’eau, la transparence, peindre à l’eau sur de la cire, il y a des accidents, j’aime ne pas tout contrôler. Récemment, j’ai photographié les marronniers du village de mon enfance, ils évoquent la sortie de l’école, la fête foraine… j’ai acheté un rétroprojecteur pour regarder les images, tout est sorti flou. Cela m’a donné envie de travailler sur le flou, la mémoire, les choses du passé. Comme disait Gabriel García Márquez, « la vie n’est pas ce que l’on a vécu, mais ce dont on se souvient et comment on s’en souvient ».