L’IA est présentée par les uns comme une bonne fée et par d’autres comme l’un des cavaliers de l’apocalypse, serait-elle une menace incontrôlable, surtout pour les petits pays comme le Luxembourg.
Par Cadfael
Une croissance hors de contrôle ?
Le premier modèle de langage artificiel baptisé GPT-1, édité par le laboratoire de recherche « OpenAI » en 2018, avait 117 millions de paramètres. Entre-temps Microsoft y a investi 1 milliard de dollars en 2019, suivi par une seconde injection de 10 milliards cette année-ci. Aujourd’hui GPT-4, la quatrième génération, travaille avec plus d’un trillion de paramètres. Les modèles d’intelligence artificielle se multiplient ainsi que leurs usagers. La puissance de calcul utilisée pour les éduquer a été multipliée d’un facteur 10 tous les ans pendant ces dix dernières années. Des calculs qui prenaient une semaine à être résolus le sont aujourd’hui en l’espace d’une seconde. L’IA (Intelligence Artificielle) est fondamentalement différente des autres technologies que l’homme a conçues. Ses apports positifs et ses capacités de nuisance sur toutes formes de pouvoir, politique, économique, militaire et social sont réelles et difficiles à circonscrire. En tant que technologie duale, elle pose des défis politiques énormes. De par sa nature hyper évolutive autoalimentée, la résolution des défis devient de plus en plus complexe et les solutions de plus en plus difficiles à implémenter.
Entre le marteau et l’enclume
Une compétition est engagée pour le leadership entre les États-Unis et la Chine, avec pour les premiers plus de 47 milliards investis en 2022 ce qui représente 3.5 fois plus que la Chine. Le nombre de nouvelles sociétés actives en IA créées aux États-Unis est presque 2 fois plus important que l’Union européenne et le Royaume-Uni réunis. Sa présence se fait sentir en recherche et développement, marketing, finances, programmation, gestion des ressources humaines, rédaction de textes ainsi que dans des domaines critiques comme les voitures autonomes ou les supports à la prise de décision clinique dans les hôpitaux et les techniques policières. Le Parlement européen souligne que 14% des métiers des pays membres de l’OCDE sont absolument automatisables et qu’une autre tranche de 32 % est à risque. Un rapport de Mc Kinsey de 2022 sur le même sujet, conclut que les sociétés qui ont adopté l’IA ont enregistré des économies substantielles ainsi qu’une croissance des revenus.
Une menace ?
Les membres du G7 réunis en mai 2023, ne s’y sont pas trompés. Ils ont lancé le processus de Hiroshima, une démarche conjointe afin « d’harmoniser les règles concernant l’IA et assurer une approche coordonnée de sa gouvernance. » « Nous nous opposons aux détournements et abus de l’IA dans la mesure où celle-ci saperait nos valeurs démocratiques, supprimerait la liberté d’expression et menacerait la jouissance des droits de l’homme. Nous réaffirmons notre engagement de promouvoir le développement et l’adoption de standards internationaux et d’outils interopérationnels allant vers une IA digne de confiance qui favorise l’innovation. » Le règne croissant de l’IA érode, selon le Parlement européen, la notion de responsabilité juridique, mise à défi par la haute complexité, l’imprédictibilité et l’autonomie dans les capacités d’apprentissage et de prise de décision de l’IA. L’état de droit s’inscrit dans un périmètre défini par la souveraineté des états et des textes votés par les parlements, il implique la prééminence du droit sur le politique et l’économique. Les piliers de nos démocraties, les principes de liberté, d’égalité et de fraternité reposent sur le respect de la personnalité juridique et la notion de responsabilité individuelle, tous absents des algorithmes.
Et le Luxembourg dans ce jeu ?
La structure économique fragile et quasi monolithique du Luxembourg, pays absent de l’échiquier mondial des décideurs l’IA ainsi que des grands du G7 et du processus d’Hiroshima, le rend parfaitement vulnérable. Le nombre d’emplois destructibles dans les domaines sur lesquels repose son économie devrait rendre ses décideurs nerveux d’autant plus que leur liberté d’action est hypothéquée. In fine, ce qui se joue, c’est le dynamisme et la créativité d’une petite démocratie apte à trouver des solutions originales qui ne lui sont dictées, ni par la nécessité d’un algorithme ni par un clientélisme de mauvais goût. Le Premier ministre britannique a appelé aujourd’hui à l’étiquetage des technologies d’IA, soulignant leur potentiel à provoquer des « dommages catastrophiques »