« Indice du coût de la vie », « Système de l’indexation automatique des traitements et des salaires au coût de la vie », « Échelle mobile des salaires »… Les termes ne manquent pas pour qualifier le dispositif luxembourgeois d’augmentation automatique des salaires et des retraites. À quoi sert donc l’« index », à qui profite-t-il et pourquoi fait-il débat ?

Par Marc Auxenfants

Le Luxembourg l’instaure en juin 1921, dans le but de préserver le pouvoir d’achat face à l’inflation des agents des chemins de fer et des fonctionnaires de l’État. Il est ensuite appliqué en 1933 dans certains contrats collectifs des professions ouvrières. La loi du 27 mai 1975 le généralise enfin à tous les secteurs publics et privés. Seule exception : il ne concerne pas les salariés détachés au Luxembourg dont les salaires sont supérieurs au montant du salaire minimum. Depuis le 29 juin 2022, il est désormais étendu aux allocations familiales.

L’index vise donc à adapter les salaires, les traitements et les pensions à l’évolution du coût de la vie. Le coût de la vie est le montant d’argent nécessaire pour couvrir les dépenses de base (le logement, la nourriture, les impôts, les frais d’éducation et de santé) dans un certain lieu et une certaine période. Son principe est simple : la variation des prix d’un panier de biens et services consommés par les ménages (= inflation) est mesurée par un indice des prix à la consommation : l’ICPN (indice des prix à la consommation nationale). Ainsi quand celui-ci augmente d’au moins 2,5%, les salaires, traitements et pensions sont adaptés en conséquence et dans la même proportion. Si nécessaire, la hausse s’appliquera autant de fois que l’inflation s’accroît de 2,5% durant l’année en cours.

8.000 biens et services

En 1921, ce panier de consommation comprenait 19 produits de première nécessité censés correspondre aux habitudes de consommation d’une famille de cinq personnes (deux adultes et trois enfants). En 1948, il passe à 36 biens. En 2022, il compte presque 8.000 biens et services. Concrètement, l’IPCN est basé sur un échantillon de biens représentatifs pour chaque catégorie de produits, vendus dans une sélection de points de vente. Chaque mois durant trois semaines en 2022, sept enquêteurs ont relevé les prix de 7.674 biens et services (255 catégories de produits) dans 580 points de vente du pays. Établi tous les mois, l’IPCN est calculé pour les douze mois d’une année donnée par rapport au mois de décembre de l’année précédente. Il est ensuite raccordé à la base 100 au 1er janvier 1948.

Une Commission de l’indice des prix – composée de représentants des syndicats, des chambres professionnelles, du ministère de l’Économie, de la Banque centrale du Luxembourg (observatrice) et d’experts – se réunit chaque mois avant la publication des chiffres de l’IPCN par le STATEC, l’institut luxembourgeois de la statistique et des études économiques. Cette Commission est chargée de conseiller et d’assister ce dernier dans l’établissement des indices de prix à la consommation.

« Les employeurs qui ont versé des salaires inférieurs aux taux applicables en vertu des dispositions du présent chapitre sont passibles d’une amende de 251 à 25.000 euros »

(article 223-3, Code du Travail)

En janvier dernier, le taux d’inflation annuel de l’IPCN s’élevait à 4,8%, selon le STATEC, entraînant en février une majoration de 2,5% des salaires, traitements et pensions. Le salaire minimum non qualifié se monte désormais à 2.447,07 euros brut, et le salaire minimum qualifié à 2.936,48 euros brut. Pour l’année en cours, l’institut luxembourgeois de la statistique et des études économiques « maintient à 3,4% sa prévision d’inflation et anticipe une tranche indiciaire (relèvement de l’index) au dernier trimestre 2023. Il prévoit en outre 4,8% d’inflation en 2024.et une nouvelle indexation au 2e trimestre l’an prochain.

Une assurance contre la vie chère

Pour la Chambre des Salariés (CSL), l’index constitue une sorte d’assurance contre le risque de la vie chère, par le biais du droit du travail. C’est aussi selon elle un instrument purement économique : « Grâce au système en place, les salariés (au sens large), qui sont aussi des consommateurs de biens et de services de première nécessité, se voient garantir qu’ils conserveront une capacité minimum de pourvoir à leurs besoins, » explique l’organe de défense des intérêts des salariés. « Par effet de ricochet, en toute logique, c’est l’activité économique, inscrite dans une relation circulaire ‘production-consommation’, d’une très large partie des entreprises locales dépendant de la demande intérieure, particulièrement de celle des ménages, qui est ainsi soutenue. ».

C’est également un outil global de politique salariale, poursuit la CSL, ajoutant que « pour les salariés qui ne sont pas couverts par une convention collective (quelque 50% d’entre eux), une tranche indiciaire constitue donc la seule revalorisation garantie de leur salaire. ».

Un impact sur la compétitivité

De leur côté, « les employeurs s’inquiètent toujours de cette poussée inflationniste et de l’impact sur les salaires, » indique la Chambre de Commerce, qui redoute le déclenchement d’un 3e index en 2023. Aussi, l’organe de défense des entreprises suggérait en 2022 de « moduler le système d’indexation selon trois piliers : une seule indexation maximum par an, une indexation dégressive à partir de quatre fois le salaire médian et une indexation basée sur un ‘panier durable’ ».

Pour sa part, l’Union des Entreprises luxembourgeoises (UEL) constate que l’indexation aura un impact sur la compétitivité des entreprises et devrait générer une augmentation du coût salarial global annuel de 800 millions d’euros, en particulier pour les secteurs à haute intensité de main-d’œuvre. Elle aura aussi « un coût pour la collectivité, avec la hausse des traitements de l’emploi (para)public et de nombreuses dépenses publiques, y compris des prestations familiales, » indiquait-elle en octobre 2022.

Mais si les prix et l’index bougent, la loi reste quant à elle inflexible. Selon l’article 223-1 du Code du Travail, « les taux des salaires résultant d’une loi, d’une convention collective et d’un contrat individuel de travail sont adaptés aux variations du coût de la vie. (…) Il en est de même du taux des indemnités d’apprentissage ». L’Inspection du travail et des mines est chargée d’en contrôler l’application. Et gare aux contrevenants : « Les employeurs qui ont versé des salaires inférieurs aux taux applicables en vertu des dispositions du présent chapitre sont passibles d’une amende de 251 à 25.000 euros. Toutefois, en cas de récidive dans le délai de deux ans, les peines prévues à l’alinéa qui précède peuvent être portées au double du maximum, » précise l’article 223-3 du même Code du Travail.

Sources :  https://statistiques.public.lu/dam-assets/actualite/2023/stn08/stn-08.pdf

https://www.cc.lu/toute-linformation/actualites/detail/bilan-conjoncturel-et-perspectives-economiques-en-2022-les-entreprises-tiendront-elles-le-cout

https://www.legilux.public.lu/eli/etat/leg/code/travail/20230201