Texte par Fabien Grasser

Au Luxembourg, l’écrasante majorité des viols et abus sexuels sur des mineurs sont commis dans le cercle familial. Pourtant, l’inceste n’est pas reconnu pénalement comme tel. La ministre de la Justice, Sam Tanson, s’est engagée à faire évoluer la loi. 

Il est difficile d’évaluer le nombre d’enfants victimes chaque année de viols ou d’abus sexuels commis dans le cadre familial au Luxembourg. En 2019, le Planning familial avait reçu 85 femmes victimes de violences sexuelles. La moitié d’entre-elles avait moins de dix ans quand elles ont été abusées et 98,9% moins de 18 ans. Ces abus étaient survenus dans leur grande majorité dans le cercle familial et relève de l’inceste, l’auteur étant souvent le père ou la personne faisant figure de père. Malgré cela, les condamnations restent rares. Selon des chiffres dévoilés il y a une dizaine de jours par la ministre de la Justice, Sam Tanson, seulement treize auteurs d’inceste ont été condamnés entre 2015 et 2020. 

La loi actuellement en vigueur ne considère l’inceste que comme une circonstance aggravante d’un viol ou d’un abus sexuel commis sur des mineurs de moins de 16 ans. L’auteur encoure alors un doublement de sa peine pouvant atteindre 30 ans de prison. 

Mais la législation devrait évoluer, Sam Tanson ayant annoncé que l’inceste deviendra une infraction pénale à part entière. « Au regard des faits dévoilés ces dernières années dans les médias européens et internationaux ainsi que des études scientifiques portant sur les traumatismes engendrés par l’abus sexuel sur enfants, en particulier lorsque celui-ci est commis dans le cadre familial, il apparaît nécessaire de créer une infraction autonome permettant de sanctionner ces faits », écrit-elle, en réponse à une question parlementaire du député socialiste Dan Biancalana, qui l’avait interpellé sur le sujet.

Les chiffres cités par la ministre ne prennent cependant pas en compte les incestes commis sur des mineurs âgés de 16 à 18 ans et aucune évolution législative n’est à ce jour prévue dans ce sens. « Il se peut qu’il y ait des cas pertinents, c’est-à-dire de viols ou d’attentats à la pudeur sur des mineurs âgés entre 16 et 18 ans, commis par un auteur qui est un membre de leur famille, mais que nous n’avons pas pu recenser », reconnaît néanmoins Sam Tanson.

Allonger le délai de prescription

Les services du ministère de la Justice travaillent à l’élaboration d’une nouvelle loi visant également à allonger le délai de prescription, précise la ministre. Actuellement, une victime d’inceste ne peut porter plainte que dans les dix ans suivant sa majorité, fixée à 18 ans. Ce qui est largement insuffisant car les victimes vivent souvent dans le déni et enfouissent ce traumatisme dont la réalité ne ressurgit parfois que des dizaines d’années plus tard. 

Sam Tanson n’indique pas la durée de prescription qui figurera dans la nouvelle loi. Pour sa part, le Planning familial plaide en faveur l’imprescriptibilité de tous les crimes sexuels. Face à ce phénomène, la branche luxembourgeoise d’ECPAT, une organisation internationale luttant contre toutes les formes d’exploitation sexuelle des enfants, s’est associé au mois de janvier au mouvement #Metooincest, lancé sur Twitter après la publication du livre La Famila Grande de Camille Kouchner. Cette initiative, qui vise à briser le silence, a déjà permis de recueillir des dizaines de milliers de témoignages de victimes d’incestes, mais assez peu au Luxembourg.

Il avait fallu attendre le milieu des années 80 pour que l’inceste soit abordé dans la sphère publique au Luxembourg. Les viols ou abus sexuels commis par un membre de la famille touchaient une fille sur quatre et un garçon sur dix, selon une évaluation publiée en 1992. Cinq ans plus tard, le choc provoqué par l’affaire Dutroux en Belgique avait fait ressurgir publiquement le phénomène et débouché sur de nombreuses poursuites et condamnations judiciaires qui furent largement médiatisées. Depuis, le sujet de l’inceste était retombé dans un relatif silence. Que Sam Tanson et Dian Biancalana viennent de briser.

À LIRE AUSSI