Texte par Cadfael

Depuis 1945, le Luxembourg et les Etats-Unis ont de bonnes relations. Cette longue lune de miel s’est-elle ébréchée sous Donald Trump pour qui l’Europe semble « terra incognita » ?

Une Amérique fissurée

« Donald Trump est le premier président qui, de toute ma vie, n’a pas tenté d’unifier le peuple américain, il n’a même pas essayé. Au lieu de cela il tente de nous diviser. /…/ Nous sommes les témoins des conséquences de trois ans de cet effort délibéré. /…/ de trois ans de leadership immature. /…/ Nous devons rejeter et tenir comme responsables ceux en charge qui voudraient faire de notre constitution une farce. /…/ « Justice égale selon la loi » c’est ce qui est gravé sur le sol de la Cour Suprême de Justice des Etats Unis. C’est justement ce que les protestataires sont en droit de demander. /…/ Nous pouvons nous unir sans lui, misant sur les valeurs fortes inhérentes de notre société civile, ce ne sera pas facile comme l’ont montré les évènements des derniers jours ».

Ces paroles ne viennent pas d’un membre du parti démocrate mais de l’ancien Secrétaire à la Défense, le général du corps des marines et Chef d’Etat major américain à la retraite Jim Mattis, que Trump a démis de ses fonctions après l’avoir choisi, et qui, ne s’est depuis jamais exprimé publiquement. Ce coup de gueule publié dans « Military News » du 6 avril montre bien à quel degré la situation est tendue au sein de la Maison blanche et du parti républicain. Selon une analyse du magazine « Forbes » publiée sur son site web du 5 mai, les mensonges de Trump se font de plus en plus nombreux. Forbes a analysé les 18 000 mensonges certifiés comme tels de Trump, ce qui fait 23.8 mensonges par jour et cela à une époque où l’opinion publique a besoin de confiance dans ses dirigeants.

Le leadership américain en perte rapide de vitesse

Durant les trois années de sa présidence, Donald Trump aura réussi à démanteler le leadership des Etats-Unis en matière de politique mondiale et à diviser son pays que la présidence d’Obama avait réussi à réconcilier dans les grandes lignes. Depuis l’arrivée au pouvoir de celui qui a été soutenu par un parti républicain aveugle et une majorité blanche chrétienne et d’extrême droite, les relations internationales mondiales souffrent. Des tensions sans précédent depuis la seconde guerre mondiale ont fait jour tant sur le plan national qu’international. En matière de politique nationale Trump aura brillamment réussi à diviser les différentes composantes culturelles et sociales qui composent le pays en instaurant une ambiance répressive contre tout ce qui est non-blanc. L’assassinat le 25 mai d’un citoyen noir par un policier blanc mettra le feu aux poudres. Les émeutes qui en ont résulté se sont transmises sous diverses formes et prétextes à d’autres pays occidentaux sur d’autres continents.

Trump fait-il ses adieux à l’Europe ?

Comme si cela ne suffisait pas, le Wall Street Journal a annoncé vendredi dernier que Trump avait l’intention de retirer 9 500 soldats américains des 34 500 actuellement stationnés en Allemagne. Est-ce un nouveau mensonge sous forme de coup bas contre Mme Merckel que le président américain ne porte pas dans son cœur ? Toujours est-il que Berlin tente de rassurer. Dans le cadre de l’Otan il restera toujours des troupes françaises, canadiennes et anglaises en RFA ainsi qu’un embryon d’Eurocorps franco-allemand. Le premier ministre polonais a tout suite fait savoir qu’il espérait que les troupes américaines seraient réassignées en Pologne.

Kalinigrad, un des chevaux de Troie de Poutine

Cette réaction épidermique de la Pologne est due, à son histoire récente, et à sa proximité avec l’ancienne ville de Königsberg aujourd’hui baptisée Kalinigrad. Depuis 1945 sous contrôle soviétique cette enclave russe dans l’Union Européenne est hautement militarisée. A l’époque soviétique, les trois pays baltes et Kaliningrad formaient une unité stratégique sous même commandement militaire. Initialement destinée au contrôle de la mer baltique et des détroits danois, cette ville-base militaire de la Russie permet un jeu de pressions politiques et militaires sur les pays européens d’autant plus puissant depuis l’installation de systèmes de missiles « Iskander » équipables de têtes nucléaires de 50 kilotonnes et propulsés par des missiles hypersoniques à une vitesse de 7 350 km/heure et disposant d’un rayon d’action entre 480 et 5,470 km. Selon des experts occidentaux le système est quasiment indétectable, ce qui met le gros des villes et centres économiques européens dans le viseur russe, argument pour le moins dissuasif qui permet à une Russie économiquement amoindrie de jouer habilement et à moindre prix avec les tensions divisant le monde occidental. 

Diviser pour régner

Un des buts de cette politique est de renforcer les divisions entre les pays baltes, la Pologne par rapport à « la vieille Europe », afin de revenir aux frontières de l’ancienne Russie soviétique. Comme le note une étude publiée sur le site de la défense suédoise, les méthodes appliquées à partir de Kalinigrad ont fait leurs preuves : guerre de désinformation, provocations envers les pays baltes et la Pologne qui de ce fait, resserrent les rangs autour de l’Otan et en contrepartie donnent des arguments au groupes militants anti-Otan de toutes couleurs, c’est à dire de droite et de gauche.

La Russie fait preuve d’étonnantes sympathies envers des groupes de l’extrême-droite allemande et le parti de Marine le Pen en France. La vision russe du monde est celle d’un monde multipolaire analogue au monde ouvert prôné par les chinois. Grâce à Trump, le maître du Kremlin, ancien officier du KGB rompu aux méthodes « subversives », doit jubiler. Ce joueur hors normes sur l’échiquier politique donne du fil à retordre et renforce patiemment ses bases d’appui hors la vieille Europe comme en Ukraine en Syrie entre autres, sous l’œil attentif de la Chine qui fait de même mais de manière différente.

A ce survol il convient de rajouter la prise d’influence de Poutine sur la Turquie par la livraison de systèmes d’armement sophistiqués ce qui rend les diplomaties occidentales nerveuses. Ankara fait tout pour agrandir sa zone d’influence en Méditerranée sous prétexte d’activités de recherche pétrolière au large de Chypre et de la Libye. La température politique en Grèce, membre de l’Otan, augmente considérablement.

Et le Luxembourg dans ce jeu ?

Le Grand-Duché est membre fondateur de l’Otan depuis 1949 et son passé historique étant ce qu’il est, ses dirigeants ont depuis longtemps compris l’intérêt d’une coopération internationale en matière de sécurité. La société civile luxembourgeoise est, dans un pays où tout fonctionne bien, plutôt aveugle par rapport à ce qui ce passe « on the dark side of the moon » pour appliquer le célèbre titre du groupe Pink Floyd, aux jeux de rapports de forces entre grandes alliances de défense. En dehors de l’engagement apprécié des forces armées luxembourgeoises sur divers théâtres d’opération de l’Otan, ce petit pays se dote de moyens plus résilients comme d’un Airbus 400 M aux coûts en dérapage, de deux hélicoptères bimoteurs de 3 tonnes et de trois unités de 11 tonnes ainsi que d’un mystérieux satellite plus cher que prévu. A cela s’ajoutent des engagements de mise à disposition de l’aéroport du Findel si nécessaire. Il est également question de la construction d’un hôpital militaire. C’est un jeu permanent d’équilibre entre une présence économique chinoise importante et des sympathies pro-russes de certains cercles dirigeants qui exige que le Grand Duché soit un très bon élève de l’Otan, d’autant plus que l’actuel Ministre de la Défense est, comme le faisait remarquer le Land, « passé par l’école trotskiste et aime toujours citer Ernest Mandel, un des théoriciens en chef de la Quatrième Internationale ».

Toujours est-il que la place du Grand-Duché et son influence restent solides mais risquent d’être mis à l’épreuve dans le cadre d’une politique européenne qui est en train de se durcir. Selon Politico de cette semaine la Commission se prépare à renforcer les mesures de défense de ses intérêts économiques envers des pays non-membres de l’Union Européenne. Cette mesure vise autant la Chine, la Russie que les Etats-Unis.

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