Par Cadfael

Il y a de cela 4 ans, l’opinion dominante dans les milieux diplomatiques de Berlin et de l’Union européenne voulait que des outils géoéconomiques suffisent à réguler le marché entre une offre russe et une demande européenne forte. On était convaincu que le jeu des politiques commerciales et d’investissement, les aides et sanctions économiques et financières, ainsi que celles ayant trait à l’énergie et aux matières premières suffiraient à canaliser le Kremlin. 

Des erreurs en série ?                                              

La stratégie européenne avec les Russes de Gazprom, consistait à troquer les contrats à long terme sur des quantités définies pour des contrats et achats avec livraison « just in time » dont les prix seraient ajustés sur ceux des achats sur les marchés libres rééquilibrant ainsi les prix russes. En contrepartie, l’Europe investirait dans des outils permettant d’amener le gaz vers les marchés européens. Ainsi la Russie serait incitée à passer par l’Ukraine pro-européenne dont l’économie a un besoin pressant des montants issus des droits de transit.

De plus, les Européens étaient persuadés d’amener les vastes réserves d’Iran et d’Asie centrale vers leurs marchés. Mais les sanctions envers l’Iran, la demande accrue des marchés chinois et asiatiques en gaz et en pétrole ainsi que la reprise des économies après la dernière vague covid, ont poussé les prix à la hausse. Les treize pays de l’OPEP ainsi que la Russie, qui comptent pour la moitié de la production mondiale de pétrole, n’ont pas augmenté leur production pour couvrir les besoins. Il en va de même pour la production américaine qui compte pour 20% de la production totale.

Poutine, toujours Poutine

Dans ce jeu Poutine, le joueur d’échecs, semble maître du jeu. Son pays, avec un PIB comparable à celui de l’Italie, a un besoin de devises pour financer ses visées géopolitiques. Aujourd’hui l’Europe est dépendante des livraisons russes pour le gaz, exception faite de la France, qui s’approvisionne en gaz algérien et qui dispose de l’énergie atomique.

La Russie dispose de huit sites de stockage intermédiaires sous son contrôle, dont quatre en RFA, un aux Pays-Bas, un en Autriche et en Slovaquie. Selon le « Financial Times » du 4 novembre dernier, on la suspecte de maintenir leur niveau au minimum. L’Europe garde les réserves hollandaises, mais leur exploitation cause des tremblements sismiques. Leur fermeture est prévue pour 2022.

Le Portugal et l’Espagne sont approvisionnés par le Maroc et l’Algérie, mais des tensions entre les deux ont entraîné une réduction drastique des livraisons. Le seul approvisionnement qui fonctionne encore est celui reliant directement l’Algérie à l’Espagne, mais insuffisant pour réduire l’explosion des coûts en énergie.

Le casse-tête russe

40 % du gaz exporté par la Russie se fait par Nord Stream 1, le plus long pipeline du monde qui passe par la mer baltique et évite l’Ukraine. Sous la pression d’Angela Merkel, un contrat a été signé fin 2019, en pleine crise, entre la Russie et l’Ukraine. Il assure à cette dernière des revenus de « transit » de l’ordre de 6.25 milliards d’euros à l’horizon 2024, même si les flux de gaz passant par l’Ukraine vont se réduire pour transiter par Nord Stream II. Celui-ci est en attente de certification par la RFA. Poutine traîne des pieds, repoussant mécaniquement les prix à la hausse. Selon la « Neue Zürcher Zeitung » du 27 octobre dernier, il est nécessaire que son gestionnaire ait un siège en RFA, ce qui n’est pas le cas actuellement. La filiale de Gazprom avec siège à Zug en Suisse se serait décidée à créer une filiale de droit allemand afin de gérer la partie allemande de Nord Stream II. D’après les experts, du gaz pourra y transiter, qu’à partir de mars. En tout cas trop tard pour lisser les besoins hivernaux. La course pour le moins non structurée vers des énergies vertes moins polluantes amplifie cette crise.

Cela est d’autant plus dramatique lorsque l’on sait que les énormes réserves de gaz en méditerranée sont actuellement inexploitables en réponse aux tensions entre la Turquie, la Grèce et le Liban, Chypre et Israël. La Maison-Blanche subit une situation analogue. Le 23 novembre elle annonçait que le gouvernement Biden, libérait 50 millions de barils de pétrole issus des réserves stratégiques pour tenter d’alléger la pression sur les prix. Il a même ordonné une enquête concernant des « comportements illégaux » qui empêcheraient une répercussion des baisses des cours au niveau du prix à la pompe. La Chine entretemps s’allie à Poutine pour la fourniture d’énergie et augmente sa production de charbon.

Et maintenant ?

Poutine dispose de la haute main sur les marchés européens, qui face à une reprise des économies et les rigueurs du climat ont un besoin accru en Énergie. Quel sera l’impact de la nouvelle vague de Covid ? Poutine lâchera-t-il ses 100.000 troupes massées à la frontière avec l’Ukraine en misant sur la faiblesse de l’Europe ? Le garde-chasse américain l’empêchera-t-il d’aller braconner sur des terres qui ne lui appartiennent pas. Dans ce jeu de mikado aux ramifications planétaires, quel seront le poids de l’Ukraine et des Droits de l’homme dans un contexte ou l’opium « enjeux climatiques « semblent anesthésier tout réalisme ?