Par Cadfael
Nos sociétés veulent être à la pointe de tout. Là où le tape-à-l’œil devient un must, plus personne ne devrait être en risque de pauvreté. Surtout en cette période de l’année où la machine à marketing abuse d’un romantisme « père Noël » à plein régime. Et pourtant.
Fini les bains !
Au moment où ce 11 décembre le ministre vert luxembourgeois claironnait, par voie de presse, qu’il ne prenait plus de bain pour des raisons d’économie d’énergie (et de publicité personnelle), d’autres, depuis des mois, ne peuvent simplement plus s’offrir un bain ou une douche chaude et ont besoin d’aides juste pour se nourrir. Avoir recours à ce qu’on appelait au 19e les soupes populaires constitue une situation moralement et économiquement inacceptable dans des sociétés riches. Serait-ce devenu une normalité dans une Europe où on subventionne tout ce qui peut être politiquement utile. La pauvreté se fait discrète et ne doit pas déranger.
En France, plus de 10% de la population ont besoin de cette soupe populaire pour manger à leur faim. Selon le rapport 2022 du Secours catholique français sont « particulièrement exposés les ménages les plus modestes qui ont des budgets tellement contraints que la moindre hausse des dépenses d’alimentation ou d’énergie les fait basculer dans le rouge. Or les aides ne sont pas à la hauteur. Les minima sociaux ont été revalorisés de 4 % en juillet 2022, en deçà de l’inflation. » Et comme le souligne le rapport français : « la sobriété à laquelle invite le gouvernement, ils la pratiquaient déjà : « Un ménage de deux personnes de notre groupe fait tourner la machine à laver une seule fois par mois. Les sous-vêtements sont lavés à la main entre-temps. » En France, cinq groupes d’organisations bien structurées, dont par exemple les restaurants du cœur, font de leur mieux pour panser les plaies, mais cela demeure insuffisant.
Là où au Luxembourg les institutions de soutien fonctionnent bien grâce à la bienveillance de partenaires économiques, publics et privés, en Belgique, 2.24 millions de personnes souffrent et avaient recours, l’année dernière, aux restaurants caritatifs. Il existe une différence notable entre la Wallonie où cela touche 18% de la population en province du Luxembourg et seulement 6.6 % pour les provinces flamandes. Aujourd’hui à part des institutions bien établies comme la Croix rouge et les neuf unités de la Fédération des Banques Alimentaires, il semblerait que les soupes soient souvent laissées à l’initiative d’associations locales ou régionales.
60.000 volontaires contre la faim
En Allemagne la situation est qualifiée de critique : selon les derniers chiffres gouvernementaux, une personne sur 6 est touchée par la pauvreté. Ce qu’on appelle les « Tafel » constituent un réseau bien structuré regroupant les diverses institutions. Disposant d’une académie de formation, ce système made in Germany gère un réseau de 960 unités fonctionnant grâce à 60 000 volontaires. Ils nourrissent plus de 2 millions de personnes sous forme de denrées distribuées et de repas. Dans plus de 60% des points de distribution, le nombre de ce qu’ils nomment les « clients », a dramatiquement augmenté à tel point qu’ils doivent refuser du monde par manque de produits. Le niveau de pauvreté a atteint des records. Il touche autant des familles monoparentales que des étudiants, des chômeurs sous allocation, des retraités ou des employés avec des salaires qui permettent plus de compenser les hausses du cout de la vie et l’augmentation des couts de chauffage.
La solidarité est mise à sérieuse épreuve : 60% des volontaires souffrent d’un stress important : « De voir que l’aide ne suffit pas et que de la part des pouvoirs publics le soutien aux citoyens en pauvreté se fait attendre est insupportable. Combien de temps pourrons-nous encore tenir ? »
L’Europe du Sud, une carte postale ?
En Espagne où l’inflation a fait exploser les prix des denrées alimentaires de plus de 15% en un an, un ménage sur sept est confronté à l’insécurité alimentaire faute de revenus suffisants. La fédération espagnole des banques alimentaires aide 1,35 million d’Espagnols journellement, mais avec des dons en nette régression par rapport à l’année dernière.
En Italie, depuis la pandémie, le nombre de personnes clientes du réseau de banques alimentaires est passé de 1,5 million à 2.2 millions. 81 banques alimentaires et plus 8000 charités autonomes locales tentent d’endiguer cette atteinte à la dignité humaine. Dans la république transalpine, les citoyens en risque de pauvreté ou d’insécurité alimentaires représentent selon une étude universitaire récente 22.3 % de la population avec de fortes variations régionales.
Au Portugal, la pauvreté est chronique avec 5% de la population touchés. Sous l’effet d’une crise économique rampante, elle commence à gangrener les classes moyennes. Le pays dispose d’une des plus importantes banques alimentaires d’Europe avec tous les jours 400.000 personnes qui y ont recours grâce a ses 40.000 volontaires.
La planète faim est oubliée de Bruxelles dont les aides sont marginales. Pourtant sans dignité, pas d’Europe digne de ce nom. Le professeur Olivier De Schutter, rapporteur spécial de l’ONU pour le droit de l’alimentation écrivait : « L’aide alimentaire, c’est un palliatif pour rendre tolérable ce qui est intolérable »