Texte par Cadfael

Claire Mitchell Queens Councel (QC), l’une des avocates les plus réputées d’Ecosse, (seuls 10% des membres de cette vénérable corporation accèdent aux honneurs de porter le raccourci QC derrière leur nom), lance une campagne pour défendre des clients décédés… Il y a de cela quatre siècles. Elle veut obtenir un pardon pour ses clients, des excuses et le rétablissement officiel de leur innocence. 

Des sorcières mais surtout des femmes

Cette action en justice devrait aboutir à l’inauguration d’un mémorial dans l’ancien comté de Fife, en Ecosse. Depuis la moitié du 16ème siècle jusqu’au 18ème siècle, plus de 4000 personnes ont été accusées de sorcellerie dans ce pays et plus de la moitié ont été exécutées. 80% des accusés étaient des femmes. En Ecosse (en proportion de ses habitants de l’époque), cinq fois plus de sorcières ont été brûlées que dans le reste de l’Europe. 

L’idée de cette action est venue à Mme Mitchell en constatant que dans tout Edinburgh, il n’y avait que deux statues dédiées à des femmes par opposition à celles dédiées à des animaux.
La campagne a été lancée le 8 mars 2020 lors de la journée internationale des droits des femmes. La prochaine démarche sera celle de constituer un dossier avec de solides arguments juridiques afin de le défendre lors de la comparution devant le comité de justice du gouvernement d’Ecosse. D’après Mme Mitchell il y a un précédent : en juin 2018, le Parlement Ecossais, sous le gouvernement de Mme Nicola Sturgeon, a unanimement voté une loi pardonnant de manière non équivoque des milliers d’homosexuels ayant été jugés pour «grande indécence». En Ecosse la décriminalisation de l’homosexualité ne date que de 1980. 

Une hystérie sans nom

En Europe, entre 1450 et 1750, il y aurait eu selon des estimations sérieuses entre 50.000 et 80.000 victimes, la plupart des femmes. Au Luxembourg, elles représentaient 76% des accusés. Au Royaume Uni des Pays Bas, dont le Luxembourg faisait partie à l’époque, il y aurait eu entre 1560  et 1683 de 2500 à 3000 procédures dont au moins 2000 se sont soldées par la peine de mort. Au Luxembourg où selon l’étude de Sonja Smec sur cette même période, il y aurait eu presque 500 procès avec 65% de condamnations à mort. 

De récentes recherches universitaires concernant cette période en Europe permettent d’établir un certain nombre de points communs dans les modèles d’accusation et de condamnation. 
Les dénonciations étaient généralement anonymes et tout était fait pour préserver cet anonymat, ce qui était une incitation à la délation. 

Les tribunaux ecclésiastiques et civils étaient actifs en la matière et se comportaient de manière aussi brutale les uns que les autres. L’ordre des dominicains s’est particulièrement distingué par son fanatisme extrême dans la chasse et la condamnation des sorcières.
Les universités étaient très souvent associées afin de conférer une caution scientifique en tant qu’experts et leurs décisions étaient généralement très dures 

La règle voulait qu’avec les mères, on condamnait également les enfants. 

Des procédures d’une brutalité sans nom

La brutalité extrême des procédures pouvait sembler normale à l’époque. Un livre était considéré comme mode d’emploi aux inquisiteurs le « malleus maleficarum » connu également comme « le marteau des sorcières » du dominicain Henri Kramer, édité en 1487 et utilisé jusqu’au 17ème siècle. On a recensé pas moins de 34 éditions et ce malgré son interdiction rapide par l’église car il était contraire sur certains points aux enseignements de l’église sur la démonologie. Cette condamnation par contre ne concernait pas la brutalité et le sadisme des méthodes ainsi la stupidité des arguments. Les églises catholiques et protestantes développaient le même fanatisme en la matière. 

Les procès étaient très lucratifs et pour les juges et pour les bourreaux qui ripaillaient aux frais des emprisonnés à tel point qu’à Trèves en 1591 on a édité une loi afin de fixer un montant maximum de frais à ne pas dépasser. 

Le rôle de l’inquisition 

L’inquisition est un groupe de structures de l’église catholique dont les premières remontent au 12ème siècle et à la répression des cathares en France. Leurs membres étaient généralement issus de l’ordre des dominicains. Brutalité et tortures caractérisent leur action.
L’activité de l’inquisition variait en fonction des régions. Dans la presqu’île hispanique et les colonies espagnoles et portugaises où elle était plus concentrée sur la chasse aux juifs et morisques, protestants et homosexuels son activité anti-sorcières passait plutôt au second plan comparé à la férocité de certains de ses inquisiteurs dans le reste de l’Europe. Napoléon la dissoudra dans les territoires sous domination française, le pape transfèrera ses missions à l’inquisition romaine en en 1834. Depuis 1965 son appellation officielle est « Congrégation pour la Doctrine de la Foi » 

Une faute morale et des pardons

La faute morale de cette sombre période entache tout autant les églises que les États concernés dont beaucoup n’existent plus aujourd’hui sous la même forme qu’à l’époque. 

Ce seront les églises reformées allemandes qui seront les premières à reconnaitre leur responsabilité et à formuler un pardon vis à vis des victimes.
La branche allemande des dominicains a explicitement reconnu les fautes de ses prédécesseurs. Dans un texte du pape Jean Paul II de l’an deux mille on peut éventuellement trouver une sorte de demande d’excuse. En 2016 le pape François II reconnaitra la chasse aux sorcières comme une injustice grave. 

Est-ce bien terminé ? 

On notera qu’un des derniers procès ayant la sorcellerie comme thème central a eu lieu dans le nord du Portugal en 1934 où des villageois avaient brûlé une femme simple d’esprit que le village accusait de sorcellerie. Sur base des lectures d’un ouvrage de St. Cyprien ils considéraient la pauvre femme possédée par le diable. Ils laisseront ses restes carbonisés aux chiens du village dans une ambiance d’hystérie pouvant rappeler celle qui frappait des petites communautés rurales au moyen-âge. Les auteurs, quatre villageois, ont été condamnés à des peines de 20 ans de prison. 

En 1944 en Ecosse Helen Duncan medium, sera condamnée à neuf mois de prison pour sorcellerie sous le « witchcraft act » anglais de 1735 qui n’est pas identique avec celui des Ecossais. Winston Churchill n’aurait pas apprécié et il fera annuler un peu plus tard la loi en question. 

En Ecosse la tache de Mme Mitchell ne sera pas facile. En 2001, 2008 et 2012 le Parlement Ecossais a rejetté des demandes de pardon en matière de condamnations pour sorcellerie ! 

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