Par Cadfael
Le 26 juin 2019 les autorités iraniennes ont arrêté à quelques heures d’intervalle, le français Roland Marchal scientifique, spécialiste du Sahel, membre du CERI (Centre de Recherches Internationales de Sciences Po Paris) et la franco-iranienne Fariba Abdelkhah, enseignante et Directrice de Recherche à la Fondation Nationale de Sciences-Po-Paris/CERI.
Le cas Roland Marchal
Le web du CNRS a informé : « Le 6 juin 2019, alors qu’il venait rendre visite à sa compagne, la chercheuse franco-iranienne Fariba Abdelkhah, il avait été interpellé à l’aéroport de Téhéran et emprisonné dans le quartier de haute sécurité de la prison d’Evin. Mais quelques heures auparavant, elle avait également été arrêtée. Accusé d’espionnage, Roland Marchal, 63 ans à l’époque, ne découvrira que des mois plus tard qu’il était en réalité une monnaie d’échange, un « otage académique », selon ses propres termes.
Le site de Sciences Politiques précisait : « Les chefs d’accusation contre Fariba Abdelkhah étaient : “propagande contre le système politique de la République islamique” et “collusion en vue d’attenter à la sûreté nationale”. Seul ce dernier chef d’accusation a été retenu contre Roland Marchal. La charge d’espionnage pesant à l’encontre de Fariba Abdelkhah, passible de la peine de mort, a été abandonnée le 6 janvier 2020. »
Roland Marchal a été libéré le 20 mars 2020 en échange d’un ingénieur iranien détenu en France, suspecté d’avoir voulu faire passer du matériel nucléaire en Iran.
Le cas Fariba Abdelkhah
Emprisonnée sous des conditions très dures à la prison d’Evin gardée par les « gardiens de la révolution » qui, état dans l’état, représentaient le bras armé direct du guide suprême. Fariba Abdelkhah a été condamnée le 16 mai 2020, lors d’un procès « kafkaïen » à la peine maximale de six ans de prison. Construite à l’époque du Schah en tant que lieu de détention pour des prisonniers politiques, cette prison avait été surnommée l’ « université d’Evin » tant le nombre d’universitaires détenus était important. Fariba Abdelkhah avait refusé une libération conditionnelle en contrepartie de l’arrêt de ses recherches.
Née à Téhéran an 1959 d’une famille de la classe moyenne, elle a quitté son pays pour faire ses études, à Strasbourg, où elle a obtenu en 1990, un doctorat en « anthropologie sociale et ethnologie ». Doctorat dont le sujet était d’« Une approche anthropologique de l’Iran post révolutionnaire. Le cas des femmes islamiques » pour lequel elle a obtenu la mention « très honorable ».
Selon ses dires, elle a choisi de faire des études à Strasbourg après la lecture du « deuxième sexe » de Simone de Beauvoir, traduit en Farsi. Une autre de ses sources d’inspiration a été les écrits du sociologue des religions, Ali Shariati, un proche des mouvements révolutionnaires anticolonialistes des années soixante, considéré comme un des inspirateurs de la révolution iranienne.
Pour une recherche scientifique libre.
L’objet de ses recherches s’est orienté sur son pays natal et particulièrement sur les mécanismes mis en place par un islam shiite autoritaire, en focalisant sur les femmes et la réappropriation de leurs destins, de leurs libertés et d’une vie sociale par le biais du voile. Il constituait un paradoxe potentiellement subversif dans l’Iran actuel dominé par les hommes. Ses recherches scientifiques l’ont poussées à travailler sur les transformations de la société iranienne et afghane sous l’angle des comportements humains. Une de ses études a montré qu’un pèlerinage ne se limitait pas à une expérience spirituelle mais comportait d’autres aspects extra-religieux, séculaires, économiques, socialement structurants.
Dommage collatéral
Elle serait « la victime collatérale de la décision de Donald Trump, début mai 2018, de retirer les États-Unis de l’accord de 2015 sur le programme nucléaire iranien, et des méthodes d’une fraction de l’establishment révolutionnaire de la République islamique opposée à tout rapprochement avec l’Occident et restée fidèle à son habitude de la prise d’otages, » analyse Jean-François Bayart, politologue et Directeur de recherche au CNRS. « Il se peut aussi que Fariba soit impliquée à son insu dans un règlement de comptes interne au régime et qu’elle ait été arrêtée sur ordre d’acteurs du système pour en embarrasser d’autres, un “jeu” sur lequel elle n’a aucune prise ». Ou serait-ce ses sujets de recherche que certains cercles du pouvoir jugeraient dangereux ?
Fariba Abdelkhah a bénéficié depuis le 3 octobre 2020 d’une permission de sortie et demeure en prison domiciliaire sous contrôle d’un bracelet électronique. En attendant sa libération, Sciences PO, le CNRS et également le président Emmanuel Macron agissent afin que Fariba, symbole du kidnapping d’état érigé en système, ne soit pas oubliée et ressorte libre et innocentée.
Le gangstérisme d’état se porte bien
France 24, le 10 mars dernier a cité le cas d’une irano-britannique, otage depuis le 3 avril 2016. Son sort est lié à la rupture d’un contrat d’armement remontant à l’époque du schah et qui laisse le Royaume Uni avec une dette de 464 millions d’euros envers l’Iran. Selon Human Right Watch plus d’une dizaine d’otages sont actuellement retenus en Iran la plupart sous une accusation construite autour d’une vague « atteinte à la sécurité nationale ». D’après des sources diplomatiques européennes, l’Iran chercherait à les échanger contre des prisonniers iraniens détenus en Belgique, France ou Allemagne.