Par Cadfael

Les jeux vidéo ont presque 60 ans d’existence. Le tout premier aurait été un jeu de tennis pour deux édité en 1958. En 1972 suivra « Pong », qui est considéré comme le premier succès commercial ouvrant la voie a un secteur aux enjeux énormes. C’était un jeu de tennis de table, en deux dimensions, multijoueur ou solo, édité par « Atari ».

Des milliards en jeu

Le blogueur « Inspecteur Sauce » publiait le 20 mars dernier un long extrait de son mémoire de master d’expert en stratégie digitale. On peut y lire : « Le jeu vidéo est aujourd’hui le marché le plus lucratif de l’industrie du divertissement, devant le cinéma et la musique réunis. Il a généré 174,9 milliards dedollars en 2020, contre 12 milliards pour le cinéma et 20,2 milliards pour la musique. […]Chaque décennie a été synonyme de bond technologique, offrant toujours plus de possibilités aux acteurs de l’industrie. On a vu arriver la couleur, la 3D et maintenant la réalité virtuelle (VR), sans parler des progrès spectaculaires dans les graphismes, réduisant toujours un peu plus l’écart avec le cinéma, voir le réel. »

La filiale payante d’Amazon « TWITCH », qui permet aux participants d’interagir entre eux et avec le streameur, via une fenêtre de chat et d’échanger sur le jeu vidéo, de réagir aux méthodes de jeu proposées, de conseiller, etc. a vendu pendant le mois d’août dernier 1,7 milliard d’heures de sessions après un mois de juillet avec 1,9 milliard d’heures. « Facebook gaming » a baissé à 399 millions d’heures (424 le mois précédent) et « YouTube gaming » engrange quelques 305 millions d’heures en un seul mois. Cela donne une impression du marché colossal sur lequel se meuvent les créateurs de jeux et de la captation du temps de cerveau des citoyens de cette planète. On regretterait presque le temps des romans de gare tant décriés par les bienpensants comme malsains pour l’intellect et la morale.

Un modèle économique performant

L’industrie du jeu vidéo est en croissance exponentielle. En matière de production, la taille d’une équipe  est passée d’une soixantaine de personnes en 1990, à plus de 400 en 2000. Pour assassins Creed III, la société canadienne Ubisoft a eu besoin d’une équipe de 600 personnes, artistes, développeurs, etc.repartis sur plusieurs sites. Ubisoft emploie à Montréal plus de 3500 personnes et environ 20.000 collaborateurs éparpillés sur une quarantaine de sites à travers le monde. Les couts de production d’un jeu peuvent dépasser largement les productions de cinéma : « Call of Duty Modern Warfare » a couté la bagatelle de 276 millions de dollars en valeur constante. Le jeu « GTA V » avec un cout de production de 270 millions de dollars et 95 millions d’unités vendues a généré 6 milliards de dollars de revenus. Il est dépassé par TETRIS avec 425 millions d’exemplaires vendus et Minecraft avec 122 millions d’exemplaires[Y1] .

Un cycle de vie à rallonges payantes

Initialement on achetait son jeu une bonne fois pour toutes et on jouait. Comme beaucoup de jeux vidéo ont une durée de vie très courte il fallait ou trouver un moyen de les prolonger comme le font les jeux FIFA (football) ou NBA  (basket) qui éditent chaque année de nouveaux épisodes, ou y inclure des revenus via des microtransactions qu’en principe on est libres d’acheter ou pas. Comme les algorithmes du jeu visent à provoquer une passion incontournable, une addiction vers de nouveaux niveaux et a pousser le joueur à être meilleur que ses compétiteurs en ligne, la solution suggérée est de payer pour progresser, d’acheter toutes sortes d’avantages et ainsi, avoir des points supplémentaires rapidement. Dans la vraie vie, ce principe de la monétisation est proche d’une philosophie de la corruption.

Où est le libre arbitre ?

Comme on peut le lire sur le site « lacremedugaming.fr. » : libre d’acheter ou pas ? « Enfin, en théorie. Parce que parfois, pour pouvoir profiter d’un truc critique à ton expérience de jeu, il va falloir acheter cette microtransaction.  Par exemple 10 euros pour une sauvegarde ou pour gagner un niveau… Des jeux de sport comme FIFA ou NBA font payer très cher l’achat de joueurs que l’on peut éventuellement trouver dans des de « FUT packs » ou « loot box » (boite à butin en traduction littérale) qui sont remplis de manière aléatoire d’objets virtuels, de joueurs ou d’éléments qui confèrent des avantages. En France on se lance dans la monétisation via les publicités.

Des jeux de hasard pour tous ?

Comme leur contenu relève du hasard nous sommes face à un jeu du même ordre que les casinos, producteurs de jeux de hasard, sauf que ceux-ci sont mieux contrôlés. En Belgique, selon le Monde du 22 juin de cette année, « les avocats dénoncent, entre autres, une « loterie prohibée », accessible aux mineurs et des « pratiques commerciales trompeuses ».En Belgique et aux Pays-Bas les « loot box » sont interdites à la vente depuis 2018. La question n’est pas réglée sur les marchés européens les plus importants à savoir la France et l’Allemagne.  « Grâce aux loot boxes, ils ont engrangé en 2020 plus de 15 milliards de dollars (14,25 milliards d’euros), selon le cabinet d’étude Juniper Research, soit environ 10 % de leur chiffre d’affaires. » En RFA selon Statista ces ventes « in game » ont généré 4,24 milliards d’Euros, ce qui fait un plus d’un milliard par rapport à l’année précédente. Les auto régulations prônées par les éditeurs de jeux n’ont que peu d’effet. Cette industrie addictive incontrôlée peut faire pas mal de dégâts. Les cas sont nombreux où des joueurs de tout âge s’endettent parfois à des montants supérieurs à 10.000 euros, comme le cite la presse allemande, le cas d’étudiants jouant leur bourse d’études semble fréquent. La RFA et l’Autriche ont mis en place des « ambulances de jeu », aux Etats Unis des sites comme « digitalmediatreatment.com » se multiplient.

Le Luxembourg à la traine

Cette industrie en plein essor demande des compétences de haut niveau en concurrence avec celles du cinéma que ce soit en scénographie, arts créatifs ou programmation. Le Luxembourg offre des formations légères destinées à créer de petites mains, mais rien de conséquent. Au Grand-Duché, où l’état subventionne toutes sortes d’études, dont certaines aux débouchés problématiques, en revanche les formations de haut niveau à l’étranger vers des bachelors ou masters en jeu vidéo ne sont pas considérés comme éligibles pour des bourses. Que de rigidités dans le mental des censeurs d’une autre époque, pour qui une économie lourde de plusieurs milliards semble ignorable. Comme le cinéma, les industries du jeu vidéo pourraient donner à l’économie de ce pays un plus de flexibilité par rapport aux mono industries de la finance et du droit.