Par Cadfael

Madrid, le 10 mai : la ministre de la Défense espagnole annonce la démission de Paz Esteban Lopez, la patronne du CNI, les services de renseignements espagnols. Elle serait restée discrète comme il est d’usage dans ce milieu. Mais elle touche au talon d’Achille du royaume espagnol, la Catalogne. L’évènement a fait de grosses vagues dans un pays dirigé par un Premier ministre socialiste avec une coalition de centre gauche, fragile et bancale.

Pegasus et Candiru

On reproche à Paz Esteban d’avoir fait diligenter des écoutes téléphoniques sur des indépendantistes catalans, écoutes téléphoniques autorisées en bonne et due forme par un juge. Leur découverte a fait monter d’un cran la tension entre Barcelone et Madrid.  En revanche, le nombre d’écoutes autorisées ne colle pas avec celles découvertes par les Espagnols et par le « Citizen Lab » appelé en renfort par les Catalans, qui en dénombrent beaucoup plus. « Citizen Lab » est un laboratoire interdisciplinaire de l’Université de Toronto travaillant sur les contrôles de l’information et leur impact sur la liberté et les droits de l’homme.

Lorsque les médias espagnols ne parlent que de « Pegasus », logiciel espion de capture de smartphones très intrusif, « Citizen Lab » mentionne également l’utilisation de « Candiru », version encore plus confidentielle et performante que le premier. Les deux auraient été découverts dans des téléphones de personnalités du gouvernement espagnol et catalan. Une commission d’enquête parlementaire ne peut que constater, mais reste dubitative devant l’origine de celles-ci. Les deux logiciels mercenaires trouvent leur « genèse » dans la mouvance technologique qui essaime autour de l’unité « 8200 » de l’armée israélienne, unité d’interception électronique et de guerre informatique.

Selon le quotidien conservateur El Pais, la directrice aurait fait les frais d’un marché entre le président socialiste du gouvernement et les indépendantistes catalans. S’agirait-il d’un lissage politique à court terme négocié un an avant la prochaine échéance électorale ?

Une autre femme est nommée en remplacement de Paz Esteban. La nouvelle directrice est considérée comme experte en contre-terrorisme de la zone Maghreb et à l’inverse de la précédente, elle disposerait d’une expérience opérationnelle.

Des indépendantistes amoureux de Moscou

Bien opportunément les médias viennent rappeler les dessous des cartes : les faits révélés lors d’une enquête débutée en 2016 par un juge de Barcelone concernant des détournements de fonds, du trafic d’influence et des abus de pouvoir dans le cadre de la politique séparatiste menée par les indépendantistes catalans sont explicites.

L’enquête des juges et des journalistes d’investigation fait ressortir des contacts suivis entre des membres du gouvernement catalan et des intermédiaires russes, des contacts retracés jusqu’en 2017, année du vote du parlement catalan et de la déclaration d’indépendance de la catalogne. Rappelons que le gouvernement espagnol a déclaré le vote comme illégal et a fait emprisonner des responsables. Puigdemont et certains de son état-major ont trouvé refuge hors d’Espagne. En avril de l’année dernière, le Maroc lui a conféré l’asile politique, acte justifié selon le gouvernement marocain du fait que l’Espagne offrait un traitement médical au leader du Front Polisario. Selon France 24, « le conflit du Sahara occidental, ex-colonie espagnole considérée comme un “territoire non autonome” par l’ONU, oppose depuis des décennies le Maroc aux indépendantistes sahraouis du Front Polisario, soutenus par Alger ». L’Espagne qui livre du gaz au Maroc a dû promettre que celui-ci ne vient pas d’Algérie alors que quarante pour cent du gaz consommé en Espagne viennent de ce pays.

Le jour avant la déclaration d’indépendance catalane, lors d’une réunion dans la résidence officielle du gouvernement catalan, un représentant de Vladimir Poutine aurait promis à Puigdemont 10.000 soldats et de l’argent. En contrepartie de ce marché aux conditions curieuses, la Catalogne s’engageait à faire passer des lois favorables aux cryptomonnaies. Les journalistes se basent sur des documents de la justice espagnole et sur des recherches personnelles de reporters du Monde et de Tamedia, le plus grand groupe média suisse. En 2019, el Peridico révélait à la suite du New York Times, que des émissaires du mouvement indépendantiste catalan avaient visité deux fois Moscou pour demander le soutien de la Russie. Ils auraient promis de reconnaître les vues de la Russie sur la Crimée en échange d’une reconnaissance de le la Catalogne. Puigdemont a reconnu ces deux voyages, qui selon lui auraient fait partie de ses contacts réguliers avec des officiels étrangers.

La méthode Poutine

Moscou applique toujours des recettes chères à la longue tradition de l’école des services russes. Le but primaire est de miner la confiance des Européens dans leurs institutions et de semer la zizanie afin d’affaiblir ce bloc ennemi.

On retrouve cette signature dans la péninsule ibérique lorsque la semaine dernière les médias portugais publiaient que la mairie de Setubal, dirigée par un maire communiste, avait chargé une organisation privée de s’occuper de l’accueil des réfugiés ukrainiens. Le scandale a éclaté lorsqu’il est apparu que cette organisation était russe et présidée par un russe, le président du centre culturel russo-portugais. Il est sous surveillance des services depuis 2014, selon la presse. L’organisation touchait quelques dizaines de milliers d’euros pour ses services. Les questions posées dans les fiches à remplir concernaient des points aussi délicats que la famille demeurée en Ukraine, les hommes au service militaire et d’autres questions dont les services russes sont friands.

On ne peut s’empêcher de mettre ce scandale en rapport avec l’incident du même ordre qui a eu lieu en juin 2021 à Lisbonne où les responsables de la mairie ont envoyé les données personnelles des organisateurs d’une manifestation anti-Poutine à l’ambassade russe. Le maire de l’époque n’était qu’autre que l’actuel ministre des finances socialiste. Selon le périodique Observador, il aurait reconnu avoir fait procéder de cette manière lors de 52 manifestations. Des recherches faites par les médias portugais ont également mis à jour que des données d’opposants iraniens ont été transmises à l’ambassade d’Iran. À ce jour aucune suite politique sérieuse n’a été donnée à ces faits. Par contre les médias se sont réveillés : l’Expresso de dimanche consacrait de pleines pages à la menace russe qui « tente de s’infiltrer tous azimuts ».