Texte par Cadfael

Le mois d’août est symbole de calme et de farniente, abstraction faite pour tout ce qui est lié au COVID 19. Entre des résurgences en France et en Espagne, des frontières qui s’ouvrent et se referment, le Luxembourg qui est excommunié sur des critères bizarres, la lecture de la presse quotidienne reste fade.

Beyrouth est à moitié détruite et ses habitants une fois de plus, meurtris dans leurs chaires par l’explosion d’une matière première d’origine portugaise stockée depuis des années, destinée à une usine d’armement du Mozambique, que selon certaines sources, le Hamas voulait s’approprier. Notre Boris ex-européen, coincé entre un Brexit chaotique et une économie anglaise qui plonge, n’ayant pas de meilleure idée que de poser brutalement un ultimatum, non sans arrière pensée, à son peuple, l’enjoignant de rentrer illico presto sur son île sous sanction de quarantaine. Bref, dans deux semaines, c’est la rentrée scolaire et tout cela sera oublié.

L’alliance des cinq yeux

Par contre en coulisse cela s’agite beaucoup. Une très discrète et très puissante structure appelée « Alliance des cinq yeux » est renforcée. Cette alliance a été créée au début de la seconde guerre mondiale afin de partager et d’exploiter des données issues du renseignement électromagnétique (à l’époque les communications téléphoniques, fax, réseaux militaires et gouvernementaux). Elle continue à surveiller et analyser les communications informatiques, un système parmi d’autres. Son noyau dur se compose des Etats-Unis, des Anglais, des Canadiens, des Néo-Zélandais, des Australiens. L’Alliance a fait les gros titres, il y a de cela quelques années par la révélation d’un réseau d’écoute en Europe appelé Echelon et qui fouine tous azimuths. Il aurait été question en 2009 d’y admettre la France, ce que la CIA a refusé. L’Allemagne et le Japon seraient candidats. Autour de cette alliance existent des groupes partenaires où en fonction des sujets traités se retrouvent nombre de pays de la zone d’influence américaine dont l’Allemagne, le Japon, la France le Danemark, la Norvège et d’autres
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Le Club de Berne

Dans ce monde par définition opaque le Luxembourg est e.a. membre d’une structure d’échanges d’informations et expériences, le très informel « Club de Berne » créé en 1971 regroupant les 27 pays de l’Union Européenne ainsi que la Norvège et la Suisse. Ainsi que du très discret « Groupe de contreterrorisme » qui est une sorte de plateforme à présidence rotative symétrique à celle du Conseil Européen regroupant les pays de l’Union Européenne ainsi que la Norvège et la Suisse. Il est une sorte d’interface avec les services d’analyse de renseignement de l’Union Européenne. Le Royaume Uni et ses services, qualifiés de très efficaces, demeurent les bienvenus dans diverses structures malgré le Brexit.
Au royaume de l’ombre tous les chats sont gris et les souris également. L’Europe des chats gris existe et fonctionne apparemment bien. Même si l’Alliance des cinq yeux est officiellement dirigée contre la Chine et d’autres pays tiers (on salue ici M. Potin) les chats gris chassent tout ce qui peut intéresser leur sécurité nationale. Comme le disait un connaisseur des chats : « L’amitié est rare dans ce type de biotope. »

La punition de Mme Merckel

Curieusement ce qui est renforcé d’un côté, est démantelé de l’autre. Le Wall Street Journal informait début juin que Trump allait retirer 9.700 troupes d’Allemagne, au final il y aura 12.000 hommes de troupe stationnés en République fédérale qui partiront. Une partie sera repositionnée ailleurs, en Belgique, Pologne, l’Italie et dans les pays baltes, 5.400 unités seront rapatriées et feront des rotations, une opération qui coûtera plusieurs milliards de dollars aux contribuables américains et réduira la présence de troupes américaines sur le sol allemand de plus de 25%. Le prétexte officiel à cette punition infligée à Mme Merckel est que son pays n’investit pas 2% de son Produit National Brut dans la défense. Il faut noter en passant que l’Italie investit 1.3% de son PNB et la Belgique 0.9%, tandis que la Pologne est sur la ligne des 2%.

Dans les milieux américains et européens, cette décision est loin de faire l’unanimité. Elle est considérée comme trop hâtive et non discutée avec les alliés selon Foreign Policy du 29 juillet dernier. D’autres analystes parlent clairement d’un acte de vengeance de Trump.

Selon l’un des experts cités par le magazine : « Ces changements constituent juste une punition claire en direction de l’Allemagne. Il semble que cela a été fait sans une analyse réelle ou une stratégie claire endossant ses conséquences » Donald punit Madame Merckel et envoie Mike Pompeo son secrétaire d’Etat au Affaires Etrangères en tournée en Europe pour rassurer selon les uns, semer la discorde selon les autres. Notons pour la petite histoire que les grands parents paternels de Pompeo sont originaires des Abruzzes, qu’il est un ancien patron de CIA nommé par Trump au moment du scandale des relations sulfureuses supposées de Trump avec la Russie et un ancien businessman du secteur aéronautique civil et surtout un militaire.

Etats-Unis – Europe, une désunion en cours

Cette situation souligne la lente érosion des relations entre les Etats Unis et leurs partenaires européens au sein de l’OTAN, même si Jens Stoltenberg, secrétaire de l’OTAN, fait tout pour faire croire le contraire. 
Dans une très intéressante analyse publiée le 9 juillet dans The National Interest, le professeur Michta du centre d’études européennes à Harvard se pose la question de l’avenir des relations transatlantiques, sachant qu’en matière de sécurité il n’y actuellement pas d’autres alternatives.  Il laisse percevoir que les divers conflits entre les détenteurs des positions clefs au sein de l’Otan n’ont pas été sans conséquences sur la situation actuelle qui ne pourra gérer les glissements de pouvoirs face une Russie de plus en plus active, le tout aggravé par une crise économique et des instabilités politiques dans certains pays à l’est de l’Europe.

Il note un ensemble de jeux d’influence qui ont miné l’Otan entrainant comme risque majeur de la rendre inutilisable. L’opinion publique européenne est d’une indifférence royale face au sort de l’Otan et d’éventuelles menaces militaires. Les vieux consensus issus de la guerre froide se sont émiettés, aidés par l’image détestable de l’actuel président des Etats Unis dont l’immaturité politique n’est pas le principal défaut. Pour les Etats-Unis, les nouvelles menaces viennent de la Chine et géographiquement de l’Asie de Sud Est. L’objectif semble être de laisser aux européens, la charge de leur défense et eux n’assumeraient plus qu’une sorte de déterrence nucléaire face à un Poutine plus actif que jamais. Dans le jeu de Trump tout le monde est perdant, surtout les européens pour qui la pandémie a fait ressortir clairement les faiblesses. L’absence de défense européenne autonome ne fait que renforcer ce tableau.


Le Luxembourg partenaire modèle ?

Et le Luxemburg dans ce jeu : il est comme d’habitude une sorte de premier de classe. Il a immatriculé les avions AWACS de l’Otan sous son drapeau, il vient de s’offrir un beau joujou sous forme d’avion de transport de troupes Airbus. Il a commandé en 2018 des hélicoptères de transport et de combat et un peu plus tard des satellites militaires. Le pays développe des coopérations avec d’autres partenaires de sa taille. Citons nos relations avec l’Estonie qui depuis 2017 dispose d’une« ambassade électronique » au Luxembourg. Suite à diverses attaques électroniques ce pays estime qu’en cas de crise il doit assumer la continuité des affaires. A cette fin, une des mesures consiste à stocker les données les plus vitales et les plus confidentielles de l’Estonie dans un data center hautement sécurisés à Betzdorf. D’après des informations de juillet de cette année l’armée luxembourgeoise investit dans un centre de formation de drones en Estonie qui d’après le constructeur peuvent servir au renseignement, à la surveillance, à l’acquisition de cibles et à la reconnaissance. De plus il est prévu de faire l’acquisition d’une vingtaine de micro drones tactiques. C’est le prix à payer pour satisfaire les grandes puissances avec lesquelles nous sommes en relation d’amitié, certaines de ces amitiés sont parfois fort couteuses et fastidieuses à gérer. « Si grand que soit le verre que l’on nous tend du dehors, nous préférons boire dans le nôtre, tout en trinquant aux alentours. » La citation pourrait être luxembourgeoise mais elle est de Charles de Gaulle.

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