Elles ont été éclipsées de l’histoire de l’art. Il a fallu attendre la fin du XIXe siècle pour que les femmes revendiquent une place légitime en tant qu’artistes, au même titre que les hommes. Ces dernières années, elles sont de plus en plus mises à l’honneur dans les musées.

Pour la plupart des Parisiens, le nom “Rosa Bonheur” n’évoque qu’une rue dans le XVe arrondissement ou une guinguette dans le parc des Buttes Chaumont. Peu savent qu’il renvoie, en réalité, à une artiste célébrée en son temps pour ses peintures animalières et ses paysages. Le musée des Beaux-Arts de Bordeaux, sa ville natale, et le musée d’Orsay veulent remédier à cela à travers une grande rétrospective de son œuvre, présentée du 18 mai au 18 septembre dans la cité girondine.

Cette exposition met à l’honneur une peintre hors norme, novatrice et inspirante, qui a fait le choix de rester célibataire et de ne pas avoir d’enfants. Elle s’installe en 1859 dans son château de Thomery, où elle s’entoure de femmes comme la jeune peintre américaine Anna Klumpke, dont elle fera sa légataire universelle à sa mort. Fascinée par les animaux, Rosa Bonheur y crée une grande ménagerie comptant des dizaines d’espèces différentes dont des chiens, des cerfs et des fauves. 

Son œuvre témoigne de son attachement pour la peinture animalière, qui a longtemps été perçue comme un genre mineur. La rétrospective du musée des Beaux-Arts de Bordeaux et du musée d’Orsay propose ainsi aux visiteurs de découvrir des chefs-d’oeuvre illustrant la richesse du monde vivant comme “Roi de la forêt”, “Labourage Nivernais” ou encore “La Foulaison du blé en Camargue”. 

L’exposition se propose de mettre en lumière des aspects peu explorés, voire méconnus, de Rosa Bonheur à travers des objets insolites tels que des peintures sur galets, des sculptures de marrons et des caricatures. Le but : faire (re)découvrir au public une artiste dont l’art et la personnalité font résonner des questions sociétales plus que jamais d’actualité dont la place des femmes dans l’art et la société. “Sa vie et son œuvre sont indissociables. Rosa Bonheur se sentait investie d’une mission qui était de peindre les animaux. Or, pour réaliser cela, elle a dû engager toute sa personne. En tant que femme, pour devenir peintre et vivre de son art, cela impliquait un choix de vie (cela est encore en partie toujours le cas aujourd’hui…) : comme de nombreuses autres artistes femmes de son temps, elle a choisi de ne pas se marier”, a déclaré Leïla Jarbouai, conservatrice en chef au musée d’Orsay dans un communiqué. “Cette image de la femme émancipée était ainsi liée à sa volonté de réaliser sa vocation et son ambition artistiques”.

Éclipsée par Manet, Renoir ou Degas

De l’autre côté de la Manche, la Dulwich Picture Gallery a choisi de rendre hommage à une autre peintre très peu reconnue à côté de ses confrères du mouvement impressionniste. Il s’agit de Berthe Morisot, une contemporaine de Claude Monet, d’Edgar Degas et de Camille Pissarro. C’est la première fois qu’une exposition lui sera consacrée au Royaume-Uni. Au programme : 40 toiles dans lesquelles l’artiste explore plusieurs thématiques de la vie moderne, telles que l’intimité de la vie bourgeoise, le goût des jardins et le travail domestique féminin.  

Le public londonien pourra découvrir, du 4 avril au 10 septembre 2023, quarante toiles de Berthe Morisot. Parmi elles, un autoportrait qu’elle a réalisé en 1885 ou encore “Jeune Fille au Bal”, “Jeune femme de dos à sa toilette” et  “La Psyché ou le miroir”. Toutes témoignent de son goût pour les couleurs claires et pastel, son don pour le dessin et sa liberté de facture, qui ont fait l’admiration de ses collègues impressionnistes. 

Contrairement à eux, elle ne vendra que peu de toiles de son vivant, ce qui explique qu’elle soit aujourd’hui encore peu représentée dans les musées. “C’est fâcheux qu’elles ne soient pas des hommes”, a un jour écrit Édouard Manet, au sujet de Berthe Morisot et de sa sœur, Edma, elle aussi peintre. Cela n’a pas empêché les deux femmes de se risquer, comme d’autres avant elles, sur un terrain alors farouchement réservé aux artistes de sexe masculin. Si le nom de Berthe Morisot a longtemps été éclipsé par ceux de Manet, Renoir, Cézanne ou Degas, l’exposition de la Dulwich Picture Gallery compte bien le réhabiliter pour que l’on se souvienne d’elle comme une star incontestable de l’impressionnisme.