L’arrestation, en Allemagne en février 2024, d’une ancienne membre du groupe terroriste Fraction armée rouge (RAF), et l’ouverture de son procès, ravivent les souvenirs douloureux des années de plomb qui ont marqué les grandes démocraties européennes, confrontées à une partie de leur jeunesse révoltée.
Par Cadfael
Un événement déclencheur
Le 2 juin 1967, lors de la visite du Shah d’Iran à Berlin, des agents de la police politique iranienne, appuyés par les forces de sécurité ouest-allemandes, répriment violemment des étudiants protestant contre le régime pro-américain de Téhéran. Au cours des affrontements, un étudiant est abattu d’une balle tirée à bout portant par un policier allemand. L’agent sera ultérieurement blanchi par la justice. Ce drame offre à la jeunesse contestataire un martyr et un symbole, qui pousseront certains à choisir la lutte armée.
La spirale de violence s’amorce véritablement en 1968 lorsque Andreas Baader — décrit comme un voyou intelligent et provocateur — et Gudrun Ensslin, fille d’un pasteur protestant et étudiante brillante, incendient un grand magasin berlinois, qu’ils considèrent comme le symbole des maux de la société de consommation. D’autres groupes terroristes, proches idéologiquement, naîtront dans la foulée, souvent soutenus logistiquement par certains services du bloc communiste.
Attentats à la bombe, assassinats de responsables politiques et économiques, détournements d’avions, prises d’otages : les actions clandestines de la RAF plongent la République fédérale d’Allemagne dans une insécurité permanente et mettent à l’épreuve une démocratie encore fragilisée par son passé récent. Arrêtés en 1972 avec plusieurs complices, les membres de la première génération de la Fraction armée rouge se donneront la mort en 1977, dans des circonstances restées troubles, au sein de la prison de haute sécurité de Stammheim.
L’exemple italien
En Italie, dans la Bologne de la fin des années soixante, un syndicalisme ouvrier donna naissance à une culture des grèves de type insurrectionnel, d’où émergèrent deux courants : celui des Indiani Metropolitani, se voulant créatif et non violent, ancré dans une culture hippie. Ce mouvement prônait l’usage de l’héroïne, manifestait contre les prix élevés des concerts rock, contre la société bourgeoise dans son ensemble et pour une liberté sexuelle généralisée. Les affrontements avec les forces de l’ordre dégénéraient souvent en véritables orgies de violence.
Autour de la mouvance d’autonomie ouvrière se cristallisa une idéologie de lutte armée et de clandestinité, avec l’émergence des Brigades rouges et d’autres groupes. Pratiquant l’enlèvement et l’assassinat dans le but de déstabiliser l’appareil productif et politique, ces groupes blessèrent ou exécutèrent des dizaines de magistrats, hommes politiques, journalistes et industriels. Le point culminant de cette vague de terreur fut l’enlèvement d’Aldo Moro, leader de la démocratie chrétienne, et son exécution brutale après 55 jours de détention, le 16 mars 1977.
Malgré une situation que les historiens qualifient de quasi guerre civile, la société italienne, déjà sous la pression de menaces mafieuses, demeura fidèle aux principes de l’État de droit et de la démocratie. François Mitterrand accordera même l’asile politique à une dizaine de ces terroristes, malgré leurs liens avec la mouvance Action directe en France.
La stratégie de la tension
Dans le contexte de la guerre froide, l’extrême droite ne resta pas inactive. Après avoir échappé à deux tentatives de coup d’État de droite dans les années soixante, la République italienne dut faire face à une « stratégie de la tension », soutenue par des personnalités d’extrême droite. Selon les médias, les services de renseignement militaire, des éléments du réseau Gladio ainsi que la CIA y auraient été impliqués.
Le 12 décembre 1969, l’attentat de la Piazza Fontana à Milan, qui fit 17 morts et 88 blessés, ainsi que trois explosions à Rome causant 16 blessés, marquèrent le début visible de cette stratégie. Parmi les nombreux attentats et meurtres perpétrés par l’extrême droite, celui de la gare de Bologne, le 2 août 1980, avec 85 morts et 200 blessés, illustre l’apogée d’une volonté meurtrière visant la conquête du pouvoir.
La démocratie allemande n’abandonne pas
En République fédérale d’Allemagne, l’arrestation, en février de l’année dernière, de Daniela Klette, née en 1958, a ravivé de douloureux souvenirs. Membre de la dernière génération de la RAF et en cavale depuis plus de deux décennies avec deux autres terroristes, son appartenance au noyau décisionnaire du groupe n’a jamais été démontrée. Elle vivait discrètement depuis une vingtaine d’années dans un logement social à Berlin.
Selon la BBC, une seconde perquisition de son domicile a permis la découverte d’environ 200 000 euros en espèces, 1,2 kilo d’or, des armes de guerre, des brouilleurs téléphoniques et divers documents. Avec ses deux complices, elle aurait participé à 13 braquages ayant rapporté 2,5 millions d’euros. Son procès s’est ouvert le 25 mars et tentera de faire la lumière sur les responsabilités, dans un univers où les exécutants n’étaient pas nécessairement les têtes pensantes.
Les observateurs estiment que, fidèle aux usages du groupe, elle gardera le silence. Une période trouble qui est loin d’avoir livré tous ses secrets.