2023 marque un très mauvais début pour les femmes d’Afghanistan, un cauchemar devenu réalité en décembre 2021 avec le départ des Occidentaux. L’espoir d’une échappatoire au paradis promis par un islam brutal et médiéval s’éloigne de plus en plus.
Par Cadfael
L’histoire se répète
Juste après la prise de pouvoir des talibans en Afghanistan, on pouvait lire sous la plume de Bernard Dupaigne ethnologue, spécialiste de l’Afghanistan et à l’époque, directeur du laboratoire d’ethnologie du musée de l’homme, les lignes suivantes sous le titre « le retour à un ordre dépassé » : » le statut qu’ils ( les talibans) réservent aux femmes a particulièrement choqué à la fois les principales intéressées, les citadines de Kaboul, habituées au modernisme et les envoyés de la presse internationale qui titrent : « qui les délivrera des talibans ? ». Cette analyse ne date pas de décembre 2021 et de l’évacuation chaotique des forces américaines et alliées, mais elle se réfère à l’occupation précédente, celle du 27 septembre 1996, où les talibans prenaient Kaboul, instauraient un état islamique se voulant pur avec toute la brutalité meurtrière que ce type de pureté semble exiger.
Le vide laissé par les forces de la coalition après la chute de Kaboul en 2021, largement facilitée par les accords de Doha négociés par Trump, a été occupé par un gouvernement de fait, sans grande reconnaissance internationale. Les trois chefs actuels de ce gouvernement taliban sont issus de l’ethnie pachtoune. Chacun représente une coalition de tribus fournissant les talibans en combattants, parfois très proche de mouvances terroristes comme al-Qaïda. L’application quotidienne d’un islam fondamentaliste sunnite ultraconservateur règle tous les aspects de la vie. Fortement influencé par le wahhabisme d’Arabie saoudite, il est largement enseigné dans les madrassas pakistanaises dont sont issus les gouvernants de Kaboul. Ne tolérant aucune déviance des interprétations médiévales de la sharia, il limite de manière absolue la liberté des femmes. Elles deviennent des biens appartenant aux hommes du clan, et les mariages servent à resserrer des alliances.
Que reste-t-il ?
La réalité quotidienne des femmes afghanes, surtout des citadines, est devenue une sorte de pendule entre des interprétations religieuses régressives claironnées par les mollahs et l’application du pachtoun wali, un code d’honneur qui transcende tout comportement. Vieux de plus de 2000 ans, il transcenderait l’Islam selon les spécialistes. Il tourne autour de la loyauté aux chefs tribaux, de l’hospitalité coûte que coûte, de la vengeance intrinsèquement liée a l’honneur et aux femmes du clan. Pour l’instant les tribus pachtounes coexistent avec les trois autres ethnies majeures afghanes. Les mollahs réussissent pour le moment à s’imposer en arbitres. Dans ce jeu de rapports de force, les femmes se sont vues confisquer ce qui leur restait : le droit à l’éducation, au travail, a la liberté de mouvement. Les mariages forcés à l’âge de treize ans sont redevenus usuels. Dans une économie exsangue, une fille de treize ans est vendue l’équivalent de 670 dollars par des parents souvent dans la misère. Même si l’homosexualité est punie par la sharia, la tradition du « bacha bazi », cette prostitution de garçons prépubères et d’adolescents qui souvent rime avec esclavage a de beaux jours devant elle.
Actuellement la communauté hazara, shiite et traditionnellement liée à l’Iran, symbolise le plus ouvertement les rapports de force tribaux. Elle a osé formuler des doléances dans les rencontres récentes avec des représentants du gouvernement. Les hazara n’ont pas oublié 1998 où la prise de la ville de Mazar-el-Charif par les talibans a entraîné le massacre de quatre à six mille des leurs. La communauté fait l’objet d’attaques et d’assassinats à répétition. A Kaboul, le 30 septembre dernier, un attentat suicide contre un centre éducatif fréquenté par des hazara a tué 53 personnes, surtout des filles et des jeunes femmes. Elles passaient un examen d’entrée à l’université, espoir d’une vie meilleure. Ces femmes et jeunes filles ont eu le courage énorme de manifester paisiblement contre ces violences. Selon Amnesty International et d’autres ONG, un grand nombre d’entre elles ont été arrêtées, détenues, torturées, certaines ont disparu. Les talibans ayant banni le personnel féminin, les ONG partent peu à peu.
Un peu d’espoir ?
L’administration Biden, en mettant en jeu les millions d’aide financière a paradoxalement une chance de faire bouger un peu les choses. L’argent du « grand Satan » dont une partie serait détournée vers les chefs locaux, est grandement nécessaire dans une économie en ruines et constitue un supplément bienvenu par rapport aux revenus des trafics en tout genre avec le Pakistan et du négoce de l’opium. Selon l’ONU l’Afghanistan en est aujourd’hui le premier producteur mondial avec une production qui a augmenté de 32 pour cent en 2022.
Que pèsent les droits les plus élémentaires des femmes afghanes dans un pays moyenâgeux où la famine s’étend ? De 14 millions de personnes souffrant de faim aiguë en juillet 2021, le pays est passé à 23 millions en mars 2022 selon l’ONU. La faim d’un peu de liberté et de dignité des femmes afghanes risque fort d’être oubliée du reste du monde.
Un petit espoir demeure en provenance des vallées du Panchir, avec la guérilla pro-occidentale d’Ahmad Massoud, fils du légendaire commandant Massoud, assassiné par al-Quaïda. Mais le chemin est encore long et épineux…