On estime à quatre millions le nombre de consommateurs utilisant la distribution en vrac dans les magasins. Et encore, une majorité d’entre eux démontre un usage très occasionnel. Présenté comme une solution d’avenir, ce libre-service censé réduire le gaspillage a de nombreux défis à relever pour entrer durablement dans nos habitudes…

Souvenez-vous. Il y a une quinzaine d’années, les tout premiers magasins qui installaient des machines en libre-service afin que leurs clients se servent la juste quantité de noix ou de cornflakes incarnaient le futur de la distribution. On présentait le vrac comme une solution d’avenir pour consommer la quantité adaptée à ses besoins. À l’heure où la notion de sobriété ne fait pas l’économie d’avis, d’écrits et de propos politiques, et que l’on ne cesse de pointer du doigt les dates de péremption comme un système générateur de gâchis, cette distribution ne rencontre pourtant pas son public. Une analyse esquissée dans le dernier observatoire dédié au sujet et publiée par un grand spécialiste de la distribution et de la consommation, Olivier Dauvers.

Qui consomme le vrac ?

À en croire cette enquête hyper fouillée – sans doute la plus pointue sur ce thème, puisqu’elle est construite sur la base d’un crowdsourcing et de la visite de 400 magasins répartis sur tout le territoire, le Covid-19 a marqué un sérieux coup d’arrêt à l’expansion de ce mode d’achat. En janvier 2020, son taux de pénétration au sein des foyers français atteignait les 40%, en hausse de trois points par rapport à 2018. En décembre 2021, au moment où les consommateurs tournaient enfin la page des vagues successives de confinement, le vrac n’intéressait plus que 31% de familles.

Pourquoi le vrac ne séduit plus (pas)

“L’explication tient essentiellement aux difficultés de fidélisation. Il reste encore des freins à lever en termes d’expérience client. Distributeurs, fournisseurs, marques et équipementiers s’y emploient, multipliant les innovations et les tests en magasins”, souligne l’éditeur Olivier Dauvers. Contrairement aux arguments que l’on avait présentés pour faire la publicité de cette distribution à volonté, le vrac n’apparaît finalement pas comme une solution écologique. C’est d’abord un achat économique. 35% de Français veulent en effet acheter la juste quantité. Ce n’est que dans un deuxième temps que les consommateurs invoquent l’envie de réduire la quantité d’emballages (23%). En cette période d’inflation, on pourrait donc envisager cette solution comme un formidable remède pour les consommateurs qui éprouvent des difficultés à joindre les deux bouts. Seulement voilà, le vrac coûte trop cher. En décembre dernier, 26% d’acheteurs confiaient avoir baissé ce type d’achats parce que le prix au kilo était trop onéreux. Et le vrac n’échappe évidemment pas à l’inflation. Le prix des flocons d’avoine a flambé de 8,7% pour se situer à 3,73 euros le kilo en moyenne. Mais, les enquêteurs ont pu identifier des prix faramineux, à 9,90 euros le kilo.

Aux prix s’ajoute la problématique du manque d’offres. 52% de foyers français aimeraient trouver davantage de produits au rayon vrac. Les consommateurs attendent notamment du choix en matière d’épicerie (69%), d’entretien (53%) et d’hygiène/beauté (41%). Dans certains magasins, on peut se servir en bière à la pression ou en vinaigrettes… Des exemples sans doute à suivre pour recruter de nouveaux clients.

Le vrac aurait aussi besoin de visibilité. Tous circuits confondus, ce libre-service est disponible au rayon bio dans 66% des cas. C’est le choix que font plus des trois quarts (77%) des hypermarchés.

Et si le vrac repose sur l’utilisation de balance, le rayon marcherait sans doute mieux si les distributeurs mettaient à disposition des machines fonctionnelles… Par ailleurs, le mode d’emploi peut parfois s’avérer complexe quand les magasins utilisent des mots trop techniques, notamment pour expliquer l’utilisation de la balance. Encore faut-il la trouver dans certains magasins…

Un avenir vraiment incertain ?

L’achat régulier de produits en vrac est davantage une habitude de séniors (avec 48% d’acheteurs de plus de 65 ans). Les plus jeunes, âgés de moins de 35 ans, ne sont que 42% à utiliser ces machines en libre-service une fois par semaine, voire tous les mois. Ce marché dispose donc d’une large marge de manoeuvre pour recruter de nouveaux adeptes, qui sauront (ou pas) transmettre cette habitude d’achat à la génération suivante.

Cependant, évoquer la fin de ce mode de distribution est prématuré. Chez Auchan, les enquêteurs de cette analyse ont en effet repéré du vrac discount. Voilà qui permettrait de présenter ce libre-service comme une vraie solution économique.

Les sociétés qui se sont spécialisées dans la fabrication de ses linéaires ont aussi repensé leur concept en prévoyant des contenants écologiques, à base de matériaux recyclables, mais aussi des containers plus adaptés au service d’aliments mous ou collants…

Rappelons aussi que c’est potentiellement un secteur d’avenir puisqu’un salon professionnel y réunira toutes les innovations adaptées en mai 2023, au parc floral de Paris. Pendant ce temps, des enseignes qui ont fait du vrac leur business modèle poursuivent leur développement, à l’image de Day by Day qui comptent 68 boutiques en France. Selon les éditions Dauvers, le distributeur a prévu de nouvelles ouvertures d’ici la fin de l’année, sinon début 2023 en associant le concept du vrac à celui d’un marché, dans l’esprit de Grand Frais.