Par Cadfael
Le marché de l’art et de la propriété culturelle est souvent oublié lorsque l’on parle de criminalité organisée. Et pourtant il représente une source de revenus énorme au profit de réseaux criminels. D’après les spécialistes, ces revenus, en forte croissance, se situeraient en troisième place après la drogue et le trafic d’armes.
Un négoce peu réglementé
Le 14 novembre de l’année dernière, l’UNESCO restitue près de 17 000 œuvres à l’Iraq, et remet volontairement au Guatemala, une stèle maya pillée il y a des décennies. Le 7 février dernier, la France a restitué une peinture de l’école italienne du XVIIe siècle et une tapisserie de la manufacture des Gobelins aux ayants droit d’une famille de banquiers juifs spoliés durant la dernière guerre. Une quinzaine d’autres œuvres vont suivre.
Malgré toutes les déclarations d’innocence et d’assurances de contrôle les plus strictes en matière de compliance, fin mars dernier, selon Art news, deux lots auraient été retirés des catalogues de vente la maison Christie’s, rachetée depuis peu par le financier français Drahi. Il s’agit d’un vase grec d’une valeur estimée entre 50 et 70.000 livres et d’un casque de cavalerie romain. Leur origine a été remise en cause par un archéologue grec, à la tête d’un groupe de travail de l’UNESCO spécialisé en matière de pillages d’antiquités. Ils auraient été précédemment vendus par un antiquaire italien connu et condamné pour ses pratiques illégales à grande échelle, ce qui n’aurait pas été mentionné dans le catalogue de Christie’s : un oubli malheureux ! Les deux artefacts, que l’on trouve dans les archives des carabiniers italiens proviennent, après des détours divers, de pillages de sites italiens. D’après l’archéologue grec qui a soulevé le lièvre, même si les archives des carabiniers ne sont pas numérisées et, difficiles d’accès, tout le monde pourrait demander un contrôle de ses biens par cette institution. Christie’s ne semble pas de cet avis et clame son innocence.
La même semaine, un français, Martinez, directeur au Louvre a été accusé de fraude et de complicité de blanchiment pour avoir cautionné des antiquités égyptiennes pour plusieurs millions d’euros aux origines douteuses. Il est un maillon d’un réseau aux ramifications internationales incluant du « beau linge ». Selon le Guardian, Martinez était ambassadeur spécial pour la coopération concernant la préservation de l’héritage culturel.
Le 9 mars dernier, Interpol annonçait un vaste coup de filet international avec l’arrestation de 52 personnes et la confiscation de 9408 biens culturels. L’opération a duré de juin à septembre 2021 avec une coopération entre 28 pays. Dirigée par la Guardia Civile espagnole, cette coordination internationale entre d’Europol, Interpol et l’Organisation mondiale des Douanes, porte ses fruits. Les opérations dites « Pandora » se font sur une base annuelle depuis 2016 et ont mené depuis à l’arrestation de 407 personnes et la récupération de 147 050 biens culturels. Dans les pays participants, on note l’absence de la Belgique et du Luxembourg. L’application d’Interpol « ID art » ne mentionne pour le Luxembourg que quelques armes anciennes, un violon de Cremona de 1800, un beau bronze d’Auguste Tremont et deux tableaux ainsi qu’une statuette de Saint-Nicolas. Les pages belges par contre sont beaucoup plus fournies. Serait-ce un reflet de cette activité de zone grise qui collerait à certains antiquaires et intermédiaires belges ? (« ID-ART mobile app interpol.int »)
Un marché gigantesque et incontrôlable
Le négoce de l’art et les artefacts au sens large du terme incluant autant les antiquités que les créations récentes représentent des flux financiers importants. Entre « la femme assise » de Picasso qui a été vendue aux enchères en mai 2021 chez Christie’s pour 103,41 millions de dollars, un portrait peint par Sandro Botticelli vendu chez Sotheby pour 45,2 millions de dollars en janvier dernier et un bol chinois de l’époque Ming pour 720.000 dollars, alors qu’il avait été acheté pour 35 dollars dans une brocante, les frontières sont élastiques. Les grandes maisons de vente s’occupent également de très discrètes ventes privées qui pèsent chez Sotheby’s autour de 1 milliard de chiffre d’affaires annuel.
Pour l’année 2019, le marché de l’art a été estimé à 65 milliards de dollars, les deux tiers de ce montant étant réalisés dans deux pays : le Royaume-Uni et les États-Unis. La Chine vient en troisième position avec 18% du marché. On estime que tous les ans l’équivalent de 4 à 6 milliards de dollars est volé en matière art. Ces produits doivent ensuite être monétarisés, c’est-à-dire vendus de manière à ne pas attirer l’attention. Il s’agit d’intégrer le « chiffre d’affaires » du vol dans les circuits financiers réguliers. Ils représentent souvent la phase finale d’un blanchiment d’argent sophistiqué, comme l’est d’ailleurs une partie du marché de l’immobilier selon de récentes études allemandes. Le pillage d’antiquités est également, selon le FBI, une source importante du financement du terrorisme. En 2018, la police espagnole arrêtait à Barcelone deux antiquaires espagnols, membres d’un réseau international, qui trafiquaient des antiquités pour financer les opérations du groupe IS. La police a récupéré des sculptures, des mosaïques et des sarcophages.
Le pillage ne dort jamais
Dernière cible « à la mode » les trésors d’Ukraine. Selon le Guardian, des gangs spécialisés volent des objets en Ukraine pour les transporter vers la Russie. Des pièces uniques d’origine scythe, en or massif, ou des tableaux, sont ciblées avec précision pour être « exportés » selon des équipes composées d’archéologues, d’historiens et de spécialistes du digital. Depuis leur laboratoire en Virginie, ils tracent de manière numérique le pillage organisé depuis le début de l’invasion russe. Selon eux, on rencontre des modus operandi redondants. La question qui demeure ouverte est celle de savoir si les vols se font pour de l’argent ou afin de saper l’identité culturelle de l’Ukraine.
Tant que les états porteront si peu d’attention pour préserver les biens représentant la mémoire culturelle de l’humanité et qu’il y aura de l’argent a dévié, les trafiquants auront de beaux jours devant eux.