La semaine dernière, le nord agricole et forestier de la République portugaise était en proie à des incendies dévastateurs. Un nouveau drame humain et social pour ces régions traditionnellement oubliées par Lisbonne.
Par Cadfael
Le profil des incendiaires
Les incendiaires ont une longue tradition au Portugal, et un quart des incendies leur sont imputés. Actuellement, 58 d’entre eux purgent des peines de prison, tandis que 16 sont sous bracelet électronique dans l’attente de leur procès. À cela s’ajoutent ceux récemment identifiés par les services de sécurité. Le fichier central, créé en 2004, recense 800 incendiaires condamnés, un record. Les études montrent que la moitié d’entre eux sont des récidivistes. Selon des sources policières, les incendiaires d’aujourd’hui ne correspondent plus au profil traditionnel des marginaux alcooliques et excentriques, autrefois qualifiés d’« idiots du village ». Désormais, il s’agit de cas complexes, recourant à une criminalité sophistiquée et utilisant des dispositifs incendiaires à retardement. Souvent, ces actes relèvent de vengeances froides entre voisins ou couples, amplifiées par les réseaux sociaux. La grande majorité de ces incendiaires agissent en pleine conscience, de manière très organisée, parfois pour des motifs futiles.
Une véritable tragédie
À partir du lundi 16, des tornades de feu se sont abattues sur de vastes zones situées à une cinquantaine de kilomètres au sud de Porto, couvrant un périmètre de 250 km de long sur 150 km de large, avec plus de 1 000 départs de feu en l’espace de quatre jours. La semaine précédente, le pays avait enregistré des températures exceptionnellement élevées, un taux d’humidité très bas et des vents violents. Combinés à des sols et sous-bois extrêmement secs et poussiéreux, le nord et le centre du pays se sont transformés, selon les spécialistes, en une véritable poudrière où la moindre étincelle pouvait provoquer une explosion. C’est ce qui s’est produit, entraînant des situations dramatiques autour de villes et villages parfois encerclés par les flammes. « Le soleil déclinait, l’air se faisait plus sombre », peut-on lire au premier vers du chant II de l’Enfer de Dante. Mais contrairement à la Divine Comédie, il n’y avait pas de Virgile pour guider les habitants des villages qui risquaient leur vie pour sauver ce qui pouvait encore l’être. Une grande solidarité a émergé entre les villageois de ces terres délaissées par Lisbonne et les forces présentes sur le terrain, constituées en majorité de pompiers volontaires et de militaires de la Garde nationale républicaine (GNR). Ces derniers ont mobilisé toutes les unités possibles, y compris la garde d’honneur de la présidence de la République. Le bilan humain est lourd : cinq morts, dont trois pompiers — deux jeunes femmes et un homme, tous volontaires — ainsi que 166 blessés, dont 16 grièvement. Deux autres personnes sont décédées cette semaine. En 2017, lors des incendies catastrophiques, 117 vies avaient été perdues.
Ignorer le mal c’est en devenir complice (Martin Luther King)
Selon l’hebdomadaire L’Espresso, les conditions météorologiques à très haut risque avaient été détectées cinq jours avant le déclenchement des incendies. Une cartographie des risques, prenant en compte la topographie des terrains, avait été établie par des chercheurs et transmise le 12 septembre au SGIFR, l’organisme chargé de la prévention et de la lutte contre les risques ruraux. Créée en 2021, cette structure est jugée inefficace. Le document est resté sans réaction visible.
La chaîne publique RTP 3 souligne qu’il y a eu 1 044 départs de feu en quatre jours. Face à cette situation, le Portugal a activé le mécanisme européen de protection civile. La France, l’Espagne, l’Italie et la Grèce ont chacun envoyé deux Canadair, tandis que l’Espagne a également déployé une unité militaire de 230 hommes spécialisée dans la lutte contre les incendies. La capacité de mobilisation du pays est considérable : à 20 heures, le jour du déluge de feu, 5 307 opérationnels et 1 600 véhicules étaient sur le terrain, luttant contre 129 départs de flammes, principalement avec des pompiers volontaires, renforcés par des militaires de la Garde nationale républicaine (GNR).
Cependant, des critiques émergent quant à la coordination des efforts. Plusieurs voix dénoncent les lacunes de la protection civile portugaise et des institutions chargées de la gestion de la crise. La presse portugaise, peu indulgente, pointe du doigt le non-remplacement du général responsable du réseau de communication d’urgence de l’État, démissionnaire depuis quatre mois. Le réseau aurait été silencieux pendant trente heures au cours des incendies, aggravant la situation.
Un héritage faisandé
Luís Montenegro, l’actuel Premier ministre, 18e depuis la chute du salazarisme, est en poste depuis six mois et a hérité d’une situation complexe laissée par le socialiste António Costa. Ce dernier, après huit ans de règne marqué par des scandales, s’est retiré à Bruxelles avec une partie de son entourage. Par la grâce de Ursula von der Leyen, qui cherchait à renforcer son pouvoir en choisissant une personnalité de “compromis”, Costa a été adoubé au poste de président du Conseil des ministres européens.
En parallèle, l’Union européenne a débloqué 500 millions d’euros destinés aux régions sinistrées. Bien que Lisbonne ait traditionnellement accordé peu d’attention aux régions agricoles et forestières du Portugal, prisonnières d’une logique sociale et économique défavorable, l’urgence d’établir des stratégies solides de gestion et de développement ne peut plus être ignorée.
Le commentaire sibyllin de Luís Montenegro, qui a souligné à deux reprises que “des intérêts dépassant ces événements” étaient en jeu, n’est pas passé inaperçu auprès des experts en relations internationales. Cette déclaration intrigue, alors que le pays tente de faire face à une crise d’une ampleur sans précédent.