Par Cadfael
La guerre en Ukraine a fait passer au second plan tout un ensemble d’évènements qui faisaient le pain quotidien des médias. Cela sert les gestionnaires politiques de nos démocraties. Cela pourrait probablement être utile à l’état du Vatican qui, tranquillement, laisserait les divers scandales se recouvrir d’une épaisse couche de poussière comme on sait le faire depuis des siècles. Mais le pape François change la donne.
Praedicate Evangelium
Le pape vient de publier le 19 mars dernier un document intitulé :« Praedicate Evangelium ». Il s’agit d’une nouvelle constitution de l’état du Vatican qui prendra effet le 5 juin prochain. Elle abolira la constitution précédente datant de 1988 élaborée par Jean Paul II, ce pape ultraconservateur au visage humain. Considéré comme un des personnages politiques les plus influents de son époque, ce nationaliste polonais qui avait goûté aux arcanes de la dictature pro-russe, en Pologne a été le champion d’une lutte farouche, souvent occulte, contre les fils de Marx et de Staline. Le dossier pédophilie qui, déjà à l’époque faisait des vagues a été de fait relégué aux calendes « grégoriennes ».
Cette nouvelle constitution de François, pape lucide et intégré à son siècle, remanie complètement la Curie romaine, le gouvernement de l’église. Elle avait été demandée par certains cardinaux avant un conclave tenu en 2013. Rappelons que les cardinaux sont les managers de pointe de l’église avec un rang hiérarchique juste après le pape. C’est François qui a repris cette demande, car elle permet de mettre en place un certain nombre de réformes nécessaires face aux dérives des puissants réseaux qui agissent dans les couloirs du Vatican.
Une révolution ?
En premier lieu la nouvelle constitution structure et unifie la gestion des divers départements composant le gouvernement du Vatican. Il ouvre une porte aux femmes dans un monde où le mâle était roi. La direction des « dicastères » sortes de ministères ou grands départements devient accessible aux laïques, hommes ou femmes, du moins sur le papier. Il est nécessaire bien sûr d’être catholique baptisé et compétent, le second critère étant plus difficile à satisfaire. Les titulaires sont personnellement choisis par le pape. La constitution précédente, celle de Jean Paul II, réservait explicitement la direction de certains dicastères à des évêques ou à des cardinaux. Le pape François prend très au sérieux la promotion des femmes. En août de l’année dernière, il avait nommé une femme en tant que numéro deux du dicastère pour le développement humain intégral. À 46 ans, avec deux doctorats en économie, la nomination de cette religieuse salésienne italienne, très forte partisane de « l’éthique du care » ou « éthique de la sollicitude » (c’est-à-dire du souci de l’autre au sens large), est un pavé dans la mare des puissants réseaux conservateurs.
La nouvelle constitution resserre également la gestion et le contrôle des finances du Vatican qui donnaient régulièrement lieu, selon les observateurs, à des abus et détournements ainsi qu’à des scandales comme celui de « Banco Ambrosiano » dont Luxembourg fut une place tournante. Un signe de la volonté du pape est sans aucun doute l’autorisation donnée à la justice italienne de convoquer le cardinal Becciu soupçonné de détournements de fonds et de sept autres chefs d’accusation ainsi que sa blonde consultante arrêtée par la police italienne. Le 7 avril prochain, les audiences débuteront afin de vérifier que le Monsignore est aussi innocent qu’il l’affirme et ce qu’il en est de l’achat d’un immeuble de luxe en plein Londres. Neuf autres personnages, tous au-dessus de tout soupçon, seront de la partie.
Un nouveau militantisme religieux
La création d’un dicastère pour l’évangélisation est une des grandes nouveautés. Celui-ci sera responsable pour le militantisme, le recrutement de nouveaux membres. Il est placé sous l’autorité directe du pape. Il correspond au constat d’une dynamique en cours depuis quelques décennies : le déclin continu dans les pays occidentaux du christianisme et la montée de ceux qui n’adhèrent à aucune religion. Selon Statista, « si les tendances actuelles se poursuivent, d’ici 2060, les chrétiens resteront le groupe religieux le plus important (32 % de la population mondiale), mais c’est l’islam qui connaîtra la croissance la plus rapide, avec une part qui devrait passer de 24 % à 31 % de la population en l’espace de quatre décennies. » Les populations hindoues et juives devraient rester constantes.
Et les abus sexuels ?
Un seul paragraphe sur les 54 pages est consacré aux abus sexuels. Il y aura la création d’une commission papale pour la protection des mineurs qui devrait assister les évêques afin de développer des stratégies permettant de protéger les mineurs. Les cas d’abus devront obligatoirement être dénoncés aux autorités religieuses et des sanctions être appliquées selon le droit canon et le droit civil. Le contexte est d’autant plus délicat du fait qu’une expertise munichoise venait jeter une ombre sur les silences coupables du prédécesseur de François. De plus, bien des églises nationales ont du mal à aborder la question qu’elles préféraient enterrer selon le vieux système bien rodé. Le Luxembourg semble opter pour cette voie.
Les migrants
Ils constituent un thème redondant dans la philosophie de François comme ils constituent un des défis majeurs qui impactent nos sociétés. Comme le souligne le 27 janvier dernier,« Conflits » la revue de géopolitique : « Un rapport d’Interpol daté de 2016 expliquait ainsi que « 90 % des déplacements de migrants vers l’Union européenne (UE) sont organisés principalement par les membres d’un réseau criminel ». Une « entreprise multinationale » fort lucrative puisqu’elle a rapporté entre 5 et 6 millions de dollars en 2015 soit, « l’une des activités les plus lucratives de la criminalité organisée en Europe » selon Interpol. L’église est muette sur les trafics d’organes, la pédophilie et la pornographie pratiqués à grande échelle, notamment depuis le Kosovo, État mafieux au cœur de l’Europe. » C’était avant que la guerre d’Ukraine qui relance de plus belle toutes sortes de trafics. N’en déplaise, François nettoie le royaume de St. Pierre ; souhaitons-lui longue vie.