A seulement 33 ans, la cheffe pâtissière du restaurant Alain Ducasse au Plaza Athénée a décroché le titre de “meilleur Chef pâtissier du monde”, que les World’s 50 Best Restaurant lui remettront le 25 juin prochain.
Marraine de la dernière promotion Bachelor arts culinaire de l’école Ferrandi Paris, Jessica Prealpato a accueilli la nouvelle avec la spontanéité et la même fraîcheur que ses desserts transposent dans l’assiette en respectant le goût originel des fruits. Réactions à chaud.
C’est le grand jour pour vous avec l’annonce officielle des “World’s 50 Best Restaurants”. Quelles sont vos premières impressions ?
Jessica Prealpato : C’est de la folie. De nombreux journalistes attendent devant l’hôtel pour me rencontrer. J’ai reçu de nombreux messages de chefs que j’admire, comme Christophe Bacquié (Hôtel du Castellet, Var), Sylvestre Wahid (Thoumieux, Paris), Jean Imbert, Alexandre Couillon (La Marine, Noirmoutier). Je suis très touchée.
Quand avez-vous appris que vous décrochiez le titre ?
Au mois de mai dernier, Hélène Pietrini (Directrice des 50 Best) est venue me rencontrer, alors que je recevais le prix “Passion Dessert” attribué par le Guide Michelin. Au début, j’ai cru que c’était une blague (rires). Romain (Meder, chef de cuisine au restaurant Alain Ducasse au Plaza Athénée) était déjà au courant. Je me suis mise à pleurer. C’est tellement énorme que j’ai encore du mal à y croire. C’est une belle récompense pour le type de pâtisserie que je réalise, pour mon chef et pour mes équipes.
Compte tenu de votre grossesse, prévoyez-vous de vous rendre à Singapour le 25 juin pour recevoir votre prix ?
Malheureusement non. Romain ira chercher le trophée à ma place. Cela me convient parfaitement, parce que c’est un bel honneur pour lui aussi.
Ce prix incarne-t-il une volonté pour les “50 Best” de féliciter ce parti pris, celui de la naturalité, que vous défendez aux côtés du chef Ducasse, et de célébrer ceux qui défendent l’environnement et le bien-manger ?
Je n’ai pas la même portée que Cédric Grolet, dont la réputation et le réseau sont mondiaux (Pierre Hermé, Dominique Ansel et Cédric Grolet ont successivement décroché ce titre, ndlr). C’est le style de pâtisserie qui est félicité par ce prix, je pense. Il honore la saisonnalité et le fait de mettre le produit en avant. Je succède à des chefs qui ont tous marqué la pâtisserie à leur manière. Pierre Hermé a révolutionné le milieu. Cédric Grolet a créé un nouveau genre avec ses fruits sculptés. Je suis ravie que la naturalité soit inscrite dans cette lignée. Je pense à Jordi Roca, également. Ce sont des pâtissiers qui écrivent une nouvelle page dans l’histoire de la discipline.
A quel moment le concept de la naturalité est-il devenu une base de travail pour vous ? Est-ce uniquement votre rencontre avec le chef Ducasse qui en a posé les principes ?
J’ai grandi entourée de nombreux jardins avec des fruits et légumes de saison. Quand je suis arrivée à Paris, j’ai travaillé avec le chef Frédéric Vardon (restaurant le 39V), qui cherchait déjà à mettre le producteur en lumière. J’avais déjà l’approche du bon produit. Au restaurant, avec Romain Meder, j’ai appris à aller chercher le produit adéquat et la bonne saisonnalité. Le champ des possibles s’est élargi. Au début, cela a été difficile, car je suis arrivée en hiver. Nous avions très peu de produits, à part les kakis ou les prunelles. Si cette période a été compliquée, elle m’a permise de tout remettre à plat. Rien n’était écrit. Nous devions tout créer. Notre pâtisserie est un laboratoire. Nous réalisons des essais. On goûte. Et on valide… ou pas !
Cette distinction peut-elle aider à décomplexer les pâtissiers qui ne misent pas sur l’esthétique mais sur l’association des goûts ?
J’ai la chance de travailler dans une structure portée par le nom Ducasse qui m’offre une fenêtre pour montrer ce que je fais. Mais, de nombreux pâtissiers réalisent chaque jour je même travail. Et je suis contente qu’ils puissent se dire que ce style de dessert peut, enfin, être mis en avant. Il y en a beaucoup plus qu’on ne le pense. Ajoutons aussi que certains comme Cédric Grolet ou Maxime Frédéric (Chef pâtissier au Four Seasons George V, ndlr) ont réussi à trouver le juste équilibre entre l’esthétique et le goût. Qui plus est, leurs pâtisseries sont moins sucrées. Même les gâteaux de Philippe Conticini ont su prouver qu’ils pouvaient être moins sucrés.
Ne pourrait-on pas un jour imaginer des desserts qui réussissent le mariage de l’esthétique et de la naturalité ?
Si bien sûr. Je pourrais mettre mon équipe au défi de transformer notre travail en tea time. Toutefois, nous ne travaillons pas avec la congélation. Malheureusement, lorsque vous devez sortir vingt desserts par jour, c’est une étape incontournable. Toutes nos bases de desserts sont réalisées au quotidien, voire tous les deux jours maximum. Si cela doit être la prochaine étape, je suis partante. Ce serait un nouveau challenge (sourires).
Quelle est l’association la plus osée que vous ayez déjà travaillée ?
Toutes les associations sont un peu bizarres. Je me souviens surtout d’un pari, celui de la fraise avec l’ortie. On partait mal, car j’avais un a priori sur cette plante. Mais, je me disais que cela devait fonctionner en raison du caractère végétal et amer de l’alliance. Je me souviens aussi du cresson et de la cerise.
Quels sont les produits que vous aimeriez travailler ?
Les épices. Le chef Meder les connaît bien, puisqu’il a travaillé à Doha (Qatar). J’aimerais apprendre à connaître le vrai goût de la cardamome noire ou du curry frais par exemple.
Parfois, êtes-vous frustrée de ne pas appliquer les principes d’une pâtisserie traditionnelle ?
(Rires). En essayant de trop innover, on peut partir trop loin parfois. Il faut savoir rester simple. Mais, si l’on reste trop simple, c’est que nous l’avons déjà fait. Et je n’aime pas refaire ce que j’ai déjà réalisé. Et puis, on a des tentations. Monsieur Ducasse m’a déjà répondu “tu as été tenté de remettre du sucre ?” en testant de nouveaux desserts. Le vendredi, mon équipe et moi-même nous offrons une petite parenthèse en dégustant le tea-time d’Angelo (Angelo Musa, le chef pâtissier du Plaza Athénée, ndlr). Ses Paris-Brest sont incroyables !
Vous êtes la première femme à recevoir ce prix. A l’heure où de nombreuses actions et discours concourent à mettre les femmes sur le devant de la scène, pensez-vous que votre condition a été un atout pour décrocher cette distinction ?
Franchement, je n’espère pas. C’est ma hantise du moment. Cela me dérange un peu, parce que cela donne l’impression que nous sommes mises en avant, non pas pour notre travail, mais pour notre condition. Quand j’ai commencé en cuisine, j’ai gratté les fourneaux et j’ai porté des sacs de sucre de 20 kg. Pour autant, si ce titre peut aider des femmes à se rendre compte que l’on peut être cheffe pâtissière d’un restaurant trois étoiles et mener une vie de famille, tant mieux.
Les grands pâtissiers sont souvent tentés un moment dans leur carrière de se mettre à leur compte et d’ouvrir leur propre boutique. Vous y songez ?
Mon papa a eu des boutiques, donc inévitablement cela donne envie. Quand je passe à côté d’un laboratoire de pâtisseries près de chez moi, je me dis souvent que ce serait l’endroit rêvé pour s’installer. Mais, je préférerais me lancer dans ce genre de projet aux côtés de mon mari en toute discrétion. Je ne suis pas sûre que j’y proposerais des éclairs et des Saint-Honoré et que l’ouverture aura lieu à Paris. Je penserais davantage à des tartes de saison et des pâtisseries basées sur les fruits, toujours dans l’esprit de la naturalité. Ce n’est ni pour demain ni pour après-demain. J’ai encore envie de travailler aux côtés des chefs Meder et Ducasse et pousser encore plus loin le travail autour de la naturalité. Nous ne sommes pas encore arrivés au bout du concept.