Avec ses pluies abondantes et son humidité en été, le Japon est loin d’être une terre de vin idéale. Mais le koshu, son vin le plus emblématique, gagne progressivement ses lettres de noblesse.

Sous un ciel bas et orageux, Keiya Uchida inspecte des grappes de raisin gris-rose dans son petit vignoble du département de Yamanashi, berceau de la viticulture au Japon. C’est ici qu’est produit le koshu, un vin blanc sec et léger, caractéristique du terroir local et de son histoire, produit quasi-exclusivement au Japon et qui s’accorde avec la délicate gastronomie du cru.

Dans ce bassin fertile, à une centaine de kilomètres à l’ouest de Tokyo, entouré de hautes montagnes dont le majestueux mont Fuji, la vigne est surtout cultivée en pergola, à environ 1,70 m de hauteur. “Cela permet de réduire son exposition à l’humidité du sol et faire mieux sécher les raisins au vent”, explique M. Uchida, 28 ans, qui dirige avec ses parents L’Orient Shirayuri Winery, une exploitation fondée par son arrière-grand-père en 1938.

Dans les petits vignobles de Yamanashi aux airs de jardins suspendus, souvent encastrés dans des zones urbaines par manque d’espace, les grappes sont généralement coiffées de minuscules “parapluies” en toile cirée, une parade contre les précipitations excessives.

Un cépage longtemps sous-estimé

“Les visiteurs étrangers trouvent ça un peu fou” quand ils voient cet énorme travail, s’amuse M. Uchida, qui a fait des études de viticulture et d’oenologie en Bourgogne. Mais il est “indispensable” car les intempéries et le taux d’humidité élevé “rend les raisins fragiles et sujets aux maladies”.

Comme beaucoup des quelque 90 producteurs de vin de Yamanashi, L’Orient Shirayuri Winery met l’accent sur le koshu. Quand sa production a démarré à Yamanashi dans les années 1870, les premiers vignerons japonais, formés en France, se sont naturellement intéressés à ce raisin cultivé depuis des siècles dans la région et résistant à de nombreuses maladies grâce à son épaisse peau gris-rose.

Mais les résultats ont été longtemps médiocres. Il y a encore une vingtaine d’années, on disait “qu’il n’avait pas de goût, pas de saveur, pas de couleur”, rappelle Takayuki Tamura, le chef vigneron de Château Mercian à Yamanashi, l’un des principaux domaines locaux et propriété du géant nippon des boissons Kirin.

Le tournant, selon lui, a été la découverte en 2003 de notes d’agrumes lors de tests de fermentation du koshu par une équipe franco-japonaise de l’université de Bordeaux. Cela “a conduit à repenser les méthodes de culture et de vinification” du koshu pour exprimer ces arômes, explique M. Tamura.

Défis à l’export

Depuis 2018, un label national permet de mieux distinguer les authentiques “vins japonais” des autres vins produits dans le pays mais utilisant des ingrédients importés. Ces vins japonais, relativement chers (entre 10 et 20 euros en moyenne la bouteille achetée au Japon), ne représentent que 5% du marché du vin en volume dans l’archipel, dont les deux tiers sont importés, surtout de France, du Chili et d’Italie.

Mais grâce à leur qualité grandissante, leur part de marché “pourrait atteindre 10% d’ici 5-6 ans”, parie Mitsuhiro Anzo, directeur général de Château Mercian et président de l’association des vignerons de Yamanashi. “Les gens ont un regain d’intérêt pour les produits locaux, faits au Japon”, relève aussi Marie Ishiyama, une Tokyoïte de 30 ans visitant la boutique de L’Orient Shirayuri Winery. Quant aux exportations japonaises de vin, elles demeurent minuscules: 687 millions de yens en 2021, d’après l’Agence nationale des taxes (cinq millions d’euros), contre 300 millions d’euros pour le saké, le fameux alcool de riz japonais, et encore davantage pour le whisky nippon.

“Le prix est un gros frein” et les obstacles posés par le climat et les surfaces agricoles limitées feront que le Japon ne produira jamais de gros volumes de vin, affirme Frédéric Cayuela, enseignant français à l’Académie du vin à Tokyo. Mais le Japon “a une carte à jouer” à l’export sur un créneau de niche, en se concentrant sur la forte “identité” de son terroir et la connexion réussie de ses vins avec la gastronomie japonaise et la cuisine fusion, estime cet expert.

M. Anzo est sur la même longueur d’onde: “Il y a 20 ans, on ne cherchait qu’à imiter les vins étrangers. Mais maintenant, nous avons des cépages très spécifiques, comme le koshu (…) Beaucoup de consommateurs qui vivent à l’étranger s’intéressent à la culture et à la cuisine japonaises, donc c’est une bonne chose pour les vins japonais.”