La sanction infligée au joueur de foot turc pour avoir fait le signe de ralliement des Loups Gris pour fêter ses deux buts a mis en lumière des structures extrémistes peu connues du grand public. Cela se passait mardi dernier lors du jeu de l’UEFA contre l’Autriche.
Par Cadfael
La pointe de l’iceberg
À la suite d’une plainte du ministre de l’Intérieur allemand, l’UEFA a mené une enquête rapide. Le verdict : une légère sanction de deux matchs de suspension pour le joueur de l’équipe d’Ankara. Depuis lors, les relations entre l’Allemagne et la Turquie se sont tendues, les autorités turques qualifiant l’affaire d’anodine et d’injuste. Selon les médias, un important groupe de supporters turcs en route vers le stade berlinois, où se déroulaient les quarts de finale contre les Pays-Bas, a été dispersé par la police allemande après avoir reproduit le geste controversé. Dans les gradins, des centaines de fans turcs ont recommencé, sous les yeux du président turc et de son épouse, présents dans les tribunes.
Né d’un coup d’état
Fondé en 1960 par un colonel de l’armée turque dans un contexte de crise économique grave et de guerre froide, le mouvement « Ülkücü » est né. Ce dernier, impliqué dans le coup d’État qui a porté l’armée au pouvoir, a créé ce mouvement prônant la continuité historique de l’empire ottoman. Il s’enracine dans un substrat nationaliste, antisémite et raciste, puisant dans le touranisme panturc. Cette idéologie se greffe sur des théories « scientifiques » de linguistes allemands et finlandais du 19ème siècle, visant à démontrer une hypothétique unité raciale et linguistique menant à un grand destin commun des peuples de l’Oural et de l’Altaï. Aujourd’hui, les idéologues du pan-turquisme se posent en protecteurs des populations turcophones musulmanes sunnites, croyant en la supériorité de la race turque. Leur antisémitisme de la guerre froide s’est transformé en haine des Kurdes, Juifs, Chrétiens, Arméniens et Grecs. Selon eux, l’Union européenne, les États-Unis et Israël doivent être combattus. De fait, leurs objectifs géopolitiques entrent en collision avec ceux de l’Eurasie de Poutine, qui n’a guère de sympathie pour un expansionnisme islamique. Il convient de noter que le touranisme sert actuellement de base idéologique à des groupes ultra-nationalistes hongrois.
Les loups gris, un des bras armés d’Erdogan ?
Ils font partie intégrante de la coalition gouvernementale d’Erdogan via leur façade publique, le Mouvement Nationaliste Turc (MHP), qui considère l’interdiction du footballeur comme une provocation. Le monde complexe et paranoïaque de ce genre de mouvements, semi-clandestins et cloisonnés, offre prise à toutes sortes de manipulations par des officines parallèles ou des structures étatiques.
Malgré des tentatives de lissage de son image publique, l’histoire du groupe se décrypte dans la violence et le sang. Ses activités terroristes remontent aux années 70 et à ses alliances avec la CIA pendant la guerre froide. De 1974 à 1980, des sources turques leur imputent près de 700 assassinats. Avec le virage vers un fascisme à couleur islamiste, les cibles de ce bras armé du MHP deviennent les Kurdes et les Arméniens. Assassinats d’opposants, intimidations et actes de violence se succèdent, comme le montrent les faits récents en Belgique. Sous le titre « En Belgique, la chasse aux Kurdes », Le Point du 1er avril dernier notait : « Après une semaine de violences, l’influence des ultranationalistes turcs “Loups gris” inquiète autant que l’inaction des autorités belges ».
En France, les violentes manifestations à Lyon en octobre 2020, attribuées aux Loups Gris qui scandaient « On va assassiner des Arméniens », ainsi que l’organisation de camps d’entraînement militaires en Ardèche, ont mené à leur interdiction. L’assassinat par balles d’un de ses anciens présidents à Ankara, le 5 janvier 2023, n’aura été qu’un épisode de plus. On avait retrouvé leur signature dans des attentats à la bombe à Paris ou à Bangkok. Leur potentielle implication dans la tentative d’assassinat de Jean-Paul II n’a jamais pu être démontrée formellement, signe d’un travail clandestin de professionnel. Aujourd’hui, le groupe islamo-fasciste est profondément enraciné dans la diaspora turque, allant jusqu’à recruter chez les Ouïghours.
Le paradoxe allemand
En Allemagne, le groupe n’est pas interdit, bien que l’Office Fédéral pour la Protection de la Constitution, l’institution de renseignement interne, le classe comme le deuxième groupe d’extrême droite en importance après l’AFD. Il estime le nombre de ses militants entre 18 500 et 20 000, structurés en plusieurs associations légales. Tout porte à croire que certains de ses membres pourraient être lourdement armés, comme le montrent des publications récentes sur les réseaux sociaux concernant leurs « frères belges ».
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