Les Pâques viennent de se terminer. L’œuf sous toutes ses formes, tellement important pendant quelque temps, vient de retrouver une sorte de normalité.
Par Cadfael
L’œuf premier
Les plus anciens fossiles d’œuf que l’on connaisse datent de 190 millions d’années, bien avant l’apparition de l’homme. Ce sont ceux de l’archæoptéryx, volatile du jurassique d’une cinquantaine de centimètres, en quelque sortes une grosse poule. Les premiers poulets domestiques datent d’environ 7000 ans.
Le mystère de l’antériorité de la poule ou de l’œuf, que certains pensent avoir résolu, n’a pas terminé d’occuper les esprits philosophiques ou scientifiques. Aristote, cité par Fénelon, statuait : «Il ne pouvait y avoir un premier œuf pour faire naître un oiseau, ou il y aurait eu un premier oiseau pour faire un œuf, puisque les oiseaux viennent des œufs.»
Toujours est-il qu’en dehors de ses qualités culinaires et diététiques, l’œuf a eu au cours des siècles des utilisations bien particulières.
L’œuf des artistes
L’œuf peut se targuer d’une longue utilisation en peinture. Les artistes utilisaient la plupart du temps des supports en bois ou des surfaces recouvertes de plâtre. Les panneaux en bois étaient recouverts de «Gesso», un enduit a base de plâtre et de colle animale. Vient ensuite « A tempera » une technique qui permets de créer des peintures a l’eau. On utilise le jaune d’œuf, parfois l’œuf entier, en une émulsion naturelle pour lier les pigments. « Les pigments broyés à la main, étaient mélangés a de l’œuf puis appliqués sur une surface lisse et blanche. En Europe du Nord, comme par exemple au Pays-Bas, les artistes préféraient peindre leurs panneaux avec des huiles siccatives en particulier de l’huile de lin » La technique de l’œuf « a tempera » a été utilisée en Egypte ancienne, en Grèce pour des icones byzantine ou au moyen-âge en Europe. C’est l’œuf qui permettra de faire éclore en 1484 « la naissance de Venus » par Sandro Botticelli.
L’œuf des maçons
Au moyen âge l’œuf avait une place importante dans la fabrication du mortier par les maîtres maçons. Le mortier est un mélange de chaux et de sable. Plus il est composé de sable plus il est dit maigre. Pour augmenter l’adhérence, selon des recettes héritées de l’antiquité et jalousement gardées on pouvait y mettre de l’œuf ou du fromage blanc ou du sang de bœuf. Cette pratique se retrouve un peu partout en Europe médiévale. Le fameux pont Charles de Prague a été construit au 14ème siècle en rajoutant de l’œuf a la fabrication du mortier. Des analyses faites par l’université de technologie chimique de Prague ont confirmé cette technique. Il est large de dix mètres et sur 16 arches permets de couvrir 516 mètres.
L’œuf, le vin et les religieux
Le collage du vin est une pratique connue depuis l’antiquité. En France elle est appliquée aux grands vins depuis le XVIIème siècle. En rajoutant du blanc d’œuf au vin on lui donne de la brillance et élimine certains de ses défauts comme l’oxydation ou de faux parfums. En liant certaines substances il se fixe comme dépôt au fonds et est éliminé par filtration. Les vignerons de la péninsule ibérique utilisent le collage depuis des siècles de manière systématique. Dans certaines régions du Portugal on donnait les jaunes d’œufs restants aux religieuses.
Les sœurs utilisaient ceux-ci pour faire des desserts de grande réputation. Comme les couvents a l’époque de la renaissance hébergeaient les descendants de grandes familles qui y habitaient avec valets, dames de compagnie, porcelaines et couverts dorés, les desserts riches y trouvaient preneur. A un moment les jaunes des vignerons ne suffisaient plus pour satisfaire aux besoins gourmands, donc on tenait des poules. Les religieuses n’utilisaient que le jaune de leurs poules et non le blanc qui ne se gardait pas longtemps. L’ingéniosité des filles de l’église fit alors des miracles : on l’utilisait pour amidonner les coiffes des uniformes monacaux. Et cela avait une bonne tenue. Beaucoup plus tard, et dans la même veine les punks anglais des seventies utiliseraient des mélanges œufs et de sucres pour faire tenir leurs crêtes multicolores.
L’œuf magique
Dans certaines régions d’Autriche, a la fin du carême de quarante jours, on offrait un œuf aux pénitents ainsi purifiés en un geste d’absolution bien visible par la communauté villageoise. Cet œuf peint en rouge, en souvenir su sang du Christ, devait avoir été pondu le jeudi saint. Il pouvait être lancé par-dessus le toit du domicile et préservait ainsi des coulées de boue et autres catastrophes naturelles. Enterré avec un bout de bois provenant des feux de Paques sa puissance était démultipliée. Selon des sources contemporaines, on retrouve ces pratiques aujourd’hui et certains œufs atterrissent dans la boite a gants de certains véhicules, qu’on se le dise. On pouvait aussi l’enterrer pour sa valeur de fécondité ou d’immortalité.
L’œuf, un symbole universel ?
Selon la théologie d’Orphée, un des courants religieux de la Grèce antique, la nuit aux ailes sombres, représentée par la grande déesse Nix qui portait un vêtement noir orné d’étoiles, était courtisée par le vent. Elle aurait pondu un œuf dont naquit Phanes, dieu primordial de la création. Nix était la descendante du Chaos. L’œuf a été brisé par Chronos et sa femme Anankè. De la partie haute aurait émergé Ouranos (le ciel) et de la partie basse Gaia (la terre).
On retrouve les symbolismes complexes de l’œuf dans pratiquement toutes les grandes civilisations, de l’indienne à la chinoise. Dans la Chine antique l’œuf symbolise le chaos a l’état brut. Il s’ouvre pour faire éclore le yin et le yang ainsi que l’homme premier.
L’œuf représente le travail d’architecture le plus abouti de la nature et devient le germe à partir duquel la vie apparaît, le tout contenu dans une simple coquille aux formes parfaites. Il est la matrice fondamentale des anciens alchimistes. L’œuf philosophique devient la matière originelle qui se transforme en pierre de la sagesse. On aimerait bien qu’une partie de l’humanité, au lieu de se gausser des œufs de Fabergé médite sur ceux de la poule !