Pour Emna Rekik, country lead & head of markets de JLL Luxembourg, les espaces de travail secondaires loués par les entreprises répondent certes à la problématique des temps de trajets de leurs salariés résidents et frontaliers. Cependant, ils risquent en contrepartie de générer un frein à la cohésion et à la collaboration au sein des équipes.

Par Marc Auxenfants

Emna Rekik, en quoi consistent les bureaux satellites ?

Ce sont des bureaux, secondaires ou complémentaires, décentralisés par rapport au siège principal de l’entreprise. Ils sont généralement situés à proximité des frontières. L’idée est de permettre aux salariés de passer moins de temps dans les trajets entre leur domicile et leur lieu de travail. Tout comme le télétravail, le bureau satellite vise ainsi à atténuer les problèmes de trafic des travailleurs frontaliers et résidents. Cette possibilité s’inscrit dans la stratégie des entreprises d’offrir plus de flexibilité aux collaborateurs.

Quelle est la tendance aujourd’hui sur ce segment de bureaux ?

Le recours aux bureaux satellites ne s’est pas généralisé à tous les secteurs ni à toutes les entreprises. Pour certaines, le concept a été un succès, mais pas pour d’autres. Pour d’autres encore, la solution n’était pas envisageable. Il y a quelques mois, peut-être un an voire un an et demi, la demande était encore forte dans ce domaine. Mais l’offre est cependant restée très faible par rapport à ces attentes. Aussi, les sociétés se sont tournées vers d’autres solutions, comme le télétravail, le coworking ou les centres d’affaires, qui absorbent eux aussi tout ce stress des salariés lié aux trajets. Parallèlement toutefois, nous observons que les sociétés veulent encourager le retour au bureau de tous leurs collaborateurs. Elles ont en effet réalisé qu’à long terme, la séparation physique des salariés crée un frein aux échanges, à la créativité et au travail collaboratif qu’elles tentent de valoriser. Avec aussi un risque de remise en question de la socialisation, de l’esprit de communauté et du sentiment d’appartenance à l’entreprise. Le bureau satellite est donc une solution à double tranchant. Elle répond certes à la problématique des temps de trajets. Mais elle risque en contrepartie de créer encore plus de silos et de distanciation entre les collaborateurs basés au siège principal et ceux travaillant sur un site satellite.

Quel est le niveau de la demande en bureaux satellites aujourd’hui ?

Elle est très faible : nous avons enregistré très peu de demandes ces derniers temps. Certaines sociétés restent toutefois intéressées par des locaux basés aux frontières. Mais la rareté du produit fait qu’il y a eu très peu de locations ces derniers mois. Côté chiffres, nous n’avons malheureusement pas de données officielles sur ce segment de bureaux. Mais nous observons que la demande n’est pas importante et ne représente pas la majorité des prises en occupation actuelles. À contrario, nous constatons même que la majorité des demandes des sociétés en matière de bureaux satellites concerne le plus sou- vent des implantations dans des communes qui disposent de quartiers majoritairement résidentiels, mais qui n’offrent pas forcément d’espaces de bureaux disponibles. Cette faible demande s’explique aussi par les coûts d’aménagement élevés de ces locaux.

Au Luxembourg en général, les surfaces de bureaux ne sont pas préalablement aménagées, ce qui suppose des investissements supplémentaires de la part des entreprises, et représente ainsi un frein à la location de bureaux satellites.Seuls les grands groupes – banques, Big Four, etc. – ayant la capacité d’investir dans ces aménagements peuvent se permettre d’organiser des bureaux satellites pour leurs collaborateurs. Pour cette raison, certaines sociétés plus petites iront chercher des solutions dans des centres d’affaires ou des espaces de coworking, plutôt que de louer des surfaces complémentaires. Par ailleurs, la location de bureaux satellites suppose une visibilité sur son business et donc de pouvoir estimer le nombre de collaborateurs supplémentaires à engager dans le futur.

Enfin, les entreprises étant aujourd’hui attentives à leurs coûts, elles optent avant tout pour des petites surfaces – de 250 à moins de 1 000 m2 – et pour des localisations décentralisées aux loyers moins élevés.

Nous observons que la demande n’est pas importante et ne représente pas la majorité des prises en occupation actuelles

Où trouve-t-on ces bureaux actuellement ?

À Windhof et Capellen pour les collaborateurs belges. À Wasserbillig, Potaschbierg ou Munsbach pour leurs homologues allemands. À Belval, Dudelange, Frisange ou Mondorf pour les Français. Ces localités ne sont pas forcément connues en tant que marchés de bureaux, mais elles offrent un site relais pour les collaborateurs. D’ailleurs, pour la plupart de ces sites, il s’agit surtout de biens résidentiels ou de locaux à vocation industrielle reconvertis en bureaux.

Que deviennent les bureaux satellites non occupés ?

Nous n’avons pas vraiment connaissance aujourd’hui de bureaux satellites vacants. Je pense que les localisations décentralisées présenteront toujours un attrait pour les sociétés n’ayant pas besoin d’être situées dans la capitale ou en périphérie.

Quels sont les défis de ces espaces de travail satellites pour les communes ?

D’un côté, c’est un réel avantage et un atout différenciateur pour certaines communes qui ne se sont pas positionnées jusque-là comme des marchés de bureaux ou des localisations attrayantes pour les entreprises. C’est en effet toujours valorisant d’avoir un grand nom qui s’installe sur son territoire. Cela renforce l’attractivité de la commune pour des résidents, pour d’autres entreprises à la recherche de bureaux, et pour des commerces ou des services de proximité.

Cependant, leur plus gros défi concerne les infrastructures de transports, de mobilité douce des salariés, d’accès autoroutiers, et les services de proximité qu’elles pourront offrir.

De même, la mise en place d’équipements – en fibre optique, mobilité, bornes de recharge électrique, aménagements durables, etc. – nécessite un coût initial important de leur part. Une coopération est donc nécessaire entre les collectivités, les communes et les entreprises (utilisateurs et occupants). Car un tel partenariat permettra de créer un écosystème idéal à l’implantation d’espaces de bureaux.

Quel est le défi ou l’avantage des bureaux satellites pour les agents immobiliers ?

Le challenge est de montrer leur valeur ajoutée aux entreprises intéressées, car ces dernières considèrent souvent ces profession- nels comme des intermédiaires immobiliers uniquement. La ten- tation est donc de gérer elles-mêmes la recherche puis la gestion des bureaux satellites, et donc de se passer des agents immobi- liers. Ces derniers possèdent toutefois une expertise, une connais- sance fine du marché et des outils dédiés qui pourront aider les entreprises dans leur recherche, l’aménagement puis le suivi de l’espace souhaité.

En quoi les espaces de coworking et les centres d’affaires constituent-ils des alternatives intéressantes ?

Ils ont l’avantage de mieux répondre aux besoins des entreprises. Ils sont tout d’abord plus flexibles en termes d’engagement, avec des contrats de trois ou six mois renouvelables, contre trois ans minimum pour les bureaux satellites. Flexibilité en termes d’aménagement également : ils offrent cette possibilité de louer un seul bureau avec un poste de travail, ou bien un espace de travail avec plusieurs postes de travail adaptés aux stricts besoins de l’entreprise. Ces espaces peuvent être ségrégués et sécurisés, avec des serveurs eux aussi sécurisés, le tout conformément aux obligations réglementaires imposées par le régulateur d’une société financière par exemple. Avec cet avantage de bénéficier de services autour de cet espace de travail : des accès privatisés, des salles de réunion, des cuisines partagées, des coins café, etc. Les coûts d’aménagement sont en outre à la charge des propriétaires du bâtiment.

En tant qu’entreprise, je n’ai donc pas besoin d’investir dans de tels espaces et aménagements qui ne seront occupés que de manière irrégulière. Ainsi par exemple, je suis une société allemande : pour mes dix collaborateurs qui viennent chaque jour d’Allemagne, je vais donc louer un espace avec dix postes de travail dans un centre d’affaires, un espace qui leur est dédié avec mon propre logo dans lequel ils vont pouvoir travailler. Je pourrai ainsi mieux contrôler mes coûts financiers. 

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