Par Cadfael
Poutine cherchait depuis longtemps les devants de la scène et espérait retrouver une stature de dimension mondiale. Il l’a eue, mais pas dans le sens escompté. L’agression de l’Ukraine semble être un échec militaire et qui plus est, la Russie est mise au banc des accusés d’une manière jamais vue. Il aura créé une unanimité de pays contre lui.
Le réveil des démocraties
Comme l’exprimait Hubert Vedrine dans une interview donnée au Figaro le 25 février : « Le Poutine de 2022 est largement le résultat, tel un monstre à la Frankenstein, des errements, de la désinvolture et des erreurs occidentales depuis 30 ans. Cela dit, je constate qu’il vient de prendre une décision non seulement condamnable, mais absurde de son point de vue. C’est un tacticien, mais pas un stratège ».
L’attaque de l’Ukraine représente un défi lancé aux démocraties occidentales. Cette guerre d’agression repose sur une longue et minutieuse préparation. Le noyau dur des démocraties occidentales n’aura pas réussi à dissuader Poutine qui misait sur leur faiblesse apparente. Il semblerait que les analystes du Kremlin n’aient pas réussi à anticiper la résistance obstinée des Ukrainiens ainsi que la lourdeur des sanctions. Le président Zelenski, que rien ne prédestinait à cette charge dramatique, a réussi à unir son peuple face à la mégalomanie d’un dictateur vieillissant. Les États-Unis, l’Europe et l’OTAN ont su retrouver une unité afin de rééquilibrer la situation en vue de remettre l’état de droit en situation de fonctionner tant sur un plan international qu’en Ukraine même. Réussiront-ils à faire plier Poutine qui doit savoir qu’une défaite signifie sa disparition à terme ?
Une nouvelle amitié avec l’empire du milieu
Le soubassement idéologique de cette guerre est passé presque inaperçu. Et pourtant il a été publié le 4 février 2022 lors de sa signature par Poutine et Xi lors de l’ouverture des Jeux olympiques de Pékin. Il s’agit d’une déclaration jointe n’annonçant l’arrivée ni plus ni moins d’une « nouvelle ère ». Ce genre de manifeste est du goût du maître du Kremlin. Il flatte son ego de dictateur en lui donnant ce qu’il n’avait jamais obtenu, une stature politique mondiale. De plus, il lui donne l’illusion que la reconquête des territoires de l’ancienne Union soviétique est à sa portée. Il définit clairement le périmètre et les visées des signataires dans un langage pompeux qui rappelle les professions de foi communistes de la guerre froide.
Cette nouvelle ère se construira sur quatre piliers :
Le constat que les rapports de force sur la scène mondiale changent : « Aujourd’hui le monde traverse des changements importants et l’humanité entre dans une nouvelle ère de développement rapide et de transformations profondes ».
L’annonce d’une « transformation de l’architecture globale de gouvernance et de l’ordre mondial ».
L’émergence d’une « tendance vers une redistribution des pouvoirs sur la planète ».
Le constat d’une demande croissante de leadership visant une croissance pacifique et graduelle.
L’alliance des prédateurs
Poutine et Xi, pour des motifs différents, se révèlent nostalgiques des formats intellectuels de leur jeunesse. Fidèles aux principes d’analyse marxiste, ce leadership devra être assuré par les deux puissances. Xi rêve d’une nouvelle révolution culturelle qui lui permette de renforcer encore plus son assise sur les cadres du parti et sur son pays. Vladimir veut briller en ravivant le nationalisme de la grande Russie via un rappel des grandes guerres patriotiques et des dogmes modernisés du leadership de l’URSS, quitte à falsifier largement la réalité historique. Pour les deux, le citoyen individuel ne compte guère. Ce sont eux qui, touchés par une grâce quasi divine, sont dépositaires de la vérité et décident du juste chemin à suivre.
En découle une analyse selon les bons vieux principes marxistes sur la répartition des richesses selon les besoins individuels et collectifs. Il en ressort un refus de l’accumulation de biens ou de revenus selon le système capitaliste. À l’avenir, la diplomatie ferait bien de s’imprégner de ce nouveau langage qui recèle une volonté de réorienter les rapports de force mondiaux.
Les visions de la déclaration jointe sont en opposition directes avec une conception occidentale démocratique. En revanche, elles sont utiles en ce sens qu’elles éclairent les axes prioritaires à travers lesquels, la Chine et la Russie comptent élargir leurs sphères d’influence dans tous les domaines, développement, commerce, santé, sécurité, etc., et les changements qu’ils souhaitent y imposer. La première application du texte, selon la lecture russe, est en Ukraine. La déclaration jointe est une déclaration de guerre aux systèmes capitalistes traditionnels et, ex ante, une justification de tout acte politique de récupération des richesses qui seraient dues aux deux pays.
L’Ukraine, un enjeu à multiples facettes
L’Ukraine est riche, grenier à blé de l’Europe, ces terres sont gorgées de richesses agro-alimentaires et minières. Comme dans chaque conflit, les intérêts sont multiples. Aux mains de Poutine elle deviendra une arme agro-alimentaire et minière supplémentaire. À un enjeu de société démocratique se juxtapose celui du contrôle des ressources et de l’accès à la mer Noire. Il faut saluer le courage des Ukrainiens qui se battent pour leur terre natale comme celui des citoyens russes qui manifestent paisiblement à Moscou et Saint-Pétersbourg en faveur de la paix face à des policiers anti-émeutes lourdement équipés. Plus de 6 000 d’entre eux ont été arrêtés et risquent jusqu’à 20 ans de prison. Pour paraphraser Joschka Fischer, ancien ministre des Affaires étrangères allemand, le kleptocrate Poutine a volé les richesses de son peuple, maintenant, il lui vole son avenir, car pour les Russes le monde ne sera plus pareil.