Rencontre conviviale début mai avec la cinéaste luxembourgeoise Laura Schroeder à Roeser chez Red Lion, producteur de son 3e long métrage Maret qui sort en salle. Passée par le théâtre, attirée par le 7e art, celle qui fête ses 43 ans est calme et posée mais déterminée. Depuis longtemps fascinée par le monde des (neuro)sciences, elle met en scène des personnages féminins toujours complexes et vulnérables. Elle nous parle d’hier et d’aujourd’hui et rend hommage à Pol Cruchten.

Par Karine Sitarz / © Ville de Luxembourg

Enfant, aviez-vous déjà un rapport avec l’image ? Quelle petite fille étiez-vous ?

Une enfant très vivante qui a eu une belle enfance. J’habitais à la campagne dans la commune de Schuttrange et je passais tout mon temps dans la forêt. Mon grand-père maternel et mon oncle faisaient beaucoup de photos, mais ce n’est que bien plus tard que j’ai pensé à une filiation, bien que mon intérêt pour la photo ait déjà été là vers 14-15 ans, mon père m’ayant donné un vieil appareil argentique et un agrandisseur. J’écrivais aussi de petites histoires et, grâce à ma mère – la première à me parler du néoréalisme italien et de la Nouvelle Vague – j’ai commencé à voir les films différemment.

Quand et comment êtes-vous arrivée à des études cinématographiques ?

Au lycée, j’étais en section sciences et j’hésitais entre la voie de mon grand-père, la médecine, et le cinéma. J’ai opté pour la Sorbonne. J’y ai aimé l’enseignement, je me rappelle d’une prof anglaise qui nous montrait des films expérimentaux en 16mm ! Après mon Master, j’y suis restée encore deux ans en auditrice libre en revenant souvent au Luxembourg pour travailler avec Jean-Claude Schlim sur House of Boys. C’était une belle époque. En 2005, je suis partie à Londres à la National Film and Television School, plus orientée réalisation.

Quittant les bancs de l’université comment entre-t-on dans la profession ?

Pendant les vacances, j’ai commencé avec des petits boulots. Ça a été difficile. Lors de mon premier tournage, j’ai eu envie de rentrer chez moi après un jour, je faisais du café et trimballais les poubelles. Je me demandais si cela faisait partie du métier ! (rires). Aujourd’hui, les opportunités sont plus nombreuses.

Courts métrages, sitcom, documentaires puis long métrage. Un choix ou le fruit du hasard ?

J’ai commencé avec des petits films autoproduits jusqu’à ce que Pol Cruchten me dise qu’il avait envie de me produire. Mais mon premier long métrage a été le film pour enfants Schatzritter. A l’époque, je travaillais déjà sur l’écriture de Barrage mais Bernard Michaux cherchait quelqu’un pour réaliser ce film, c’était une belle opportunité, j’ai donc mis Barrage un moment de côté.

« Quand j’écris, j’ai souvent déjà les images dans la tête, je sais où je vais mettre la caméra, si ce sera un plan rapproché ou un plan large »

Comment s’est faite votre rencontre avec l’écrivaine Marie Nimier qui cosigne le scénario de Barrage ?

Je suis ambitieuse et je me dis toujours que je n’ai rien à perdre. Un ami m’avait conseillée de l’écouter à la radio, j’ai lu ses romans et j’ai tout simplement osé lui écrire. Cela a été un très bel échange. De même, j’ai voulu travailler avec Lolita Chammah avant même Isabelle Huppert.

Avec Barrage, vous inscrivez votre nom à l’international. Quelles portes cette reconnaissance vous a-t-elle ouvertes ?

Ce qui m’a un peu ouvert les portes, c’est d’avoir été sélectionnée pour le TorinoFilmLab en 2010 alors que Barrage n’en était qu’à ses tout débuts. Le film a eu un beau parcours, j’ai beaucoup voyagé avec lui et fait de belles rencontres. Mais je me suis aussi rendu compte que rien n’est jamais acquis. Et Maret que je trouve beaucoup plus abouti est plus difficile à vendre !

Vos films traitent de relations difficiles entre générations, de la difficulté d’être, du poids ou des ratés de la mémoire. Pouvez-vous nous en parler ?

Schatzritter mis à part, il y a dans mes films un fil rouge dans ma façon de traiter les personnages. Ce qui m’intéresse, ce sont des femmes qui ne sont pas lisses, j’essaye de les installer dans une zone grise, j’ai horreur du noir et du blanc. Au premier abord, ces personnages peuvent nous repousser un peu mais à travers leur histoire, j’essaye de montrer leurs fissures, leur fragilité, leur vulnérabilité, pour qu’on les comprenne. J’aime montrer la complexité des relations humaines.

Maret parle de médecine et des potentialités nouvelles de la science. Un sujet que vous aviez déjà abordé. Pourquoi ce choix ?

Chacun de nous s’est déjà demandé comment les choses seraient s’il avait agi autrement, s’il avait été différent. J’ai grandi dans un monde où on parlait de psychanalyse, de psychologie, où on vous disait que grâce à la parole on peut régler des choses… J’ai rencontré au Luxembourg un neurochirurgien qui m’a parlé de la stimulation cérébrale profonde, technique chirurgicale susceptible d’influencer le comportement d’une personne. Cela peut aider des patients atteints de Parkinson ou touchés par l’anorexie, la dépression… C’est incroyable mais cela pose énormément de questions sur ce que nous sommes en tant qu’être humain, c’est ce que j’ai essayé de montrer dans le film.

Quelles rencontres, quels événements ont marqué votre parcours ?

Ma rencontre avec Pol Cruchten a été déterminante, d’un point de vue humain mais aussi professionnel. C’est quelqu’un qui m’était très cher, il ne s’imposait pas mais était toujours là quand on avait besoin de lui. Sur Barrage et Maret, j’ai aussi eu de beaux échanges avec des chefs opérateurs et des comédiens, j’ai beaucoup appris avec Isabelle Huppert, avec Susanne Wolff, de même avec Judith Angerbauer avec laquelle je vais continuer à travailler.