Son absence, le 22 janvier dernier pour la semaine de la couture parisienne, était un présage de mauvais augure. Karl Lagerfeld s’est éteint ce 19 février, à l’âge de 85 ans, emportant avec lui toute une légende.

Ce soir, la pleine lune atteindra son point de périgée (comprenez, la lune sera plus brillante que la normale) et c’est un peu comme si le cosmos tout entier s’apprête à saluer, une ultime fois, celui qui plus que nul autre règne en maître dans le monde de la mode, depuis sa tour d’ivoire.

Tenu à l’écart des autres enfants, élevé par une mère peu aimante qui « ne lui accordait que quatre minutes par jour », le petit Karl se réfugie dans le grenier, s’invente un monde, des personnages, et de tout son soûl. A 14 ans, c’est encore une fois seul qu’il s’installe à Paris, dans le Quartier latin et continue de dessiner. Des robes, notamment. À 16 ans, il décroche le premier prix, catégorie manteaux, au concours du Secrétariat de la Laine. C’est là qu’il rencontre Yves Saint Laurent, également primé. Leur amitié se brisera quand Yves Saint Laurent sera appelé pour succéder à Christian Dior, décédé brutalement novembre 1957. Karl, lui est alors chez Balmain, où il triomphe. Il ira ensuite chez Chloé, dans les années 70, et mène alors une vie d’oiseau de nuit fantasque, infatigable et exubérant et organise de nombreuses fêtes qui resteront dans les annales, aux côtés de son ami Jacques de Basher, dont il a partagé la vie jusqu’au dernier souffle de celui-ci. Bourreau de travail, il ne faillit pas à ses missions pour autant, et multiplie les contrats avec de nombreuses maisons de prêt-à-porter, dont l’Italienne Fendi. Il est pressenti pour prendre le relais de Gabrielle Chanel, lors du décès de celle-ci en 1971, mais ses frasques font douter la famille Wertheimer, propriétaire de Chanel. Les deux fils, Alain et Gérard, inciteront pourtant Jacques, leur père, à miser sur le « papillon de la mode », surnom donné par la journaliste Colombe Pringle. Il foule le sol de la maison de la rue Cambon en 1983 et ne quittera plus l’empire Chanel, même s’il ne peut s’empêcher de cumuler les projets. C’est lui qui fera d’Inès de la Fressange la première égérie de la maison, avant de se brouiller avec elle des années plus tard, et dépoussière l’univers de Coco Chanel.

Érudit, éclairé, et surtout éternel insatisfait, il n’aura de cesse de réinventer les pièces iconiques de la maison. « Je suis un nymphomane de la mode qui ne parvient jamais à l’orgasme. Je suis un éternel insatisfait », confiait-il au Time. Après le décès de De Basher, le kaiser vivra des heures noires, accusant une prise de poids conséquente, trompant son ennui dans la possession matérielle, avant de rebondir, contraints par différents événements professionnels et financiers, choisissant alors une certaine forme d’ascétisme, se délestant au passage de quelque 30 kilos et préférant désormais le dépouillement à l’opulence et au faste qui le caractérisaient jusqu’alors.

Le Kaiser s’accomplit également dans la photographie, signant toutes les campagnes image de la Mode, depuis 1987 : une passion qui prendra de plus en plus de place dans sa vie. Les dernières années de sa vie ont été notamment consacrées à la rédaction de ses Mémoires, en trois langues, dans le plus grand des secrets…

Pionnier et visionnaire, il a travaillé avec les plus grands mannequins, de Claudia Schiffer à Naomi Campbell jusqu’aux étoiles montantes comme Lily-Rose Depp… Il a été aussi celui qui le premier a avoir réalisé une collection capsule avec un géant de la fast fashion, H&M, en 2004.

Karl Lagerfeld était également connu pour son humour, son sens de la répartie et son autodérision, alimentant les rumeurs de ses phrases acerbes.

Personnage mystérieux et insaisissable qui se cachait derrière ses verres fumés, Karl Lagerfeld a marqué l’Histoire de la Mode, comme l’a souligné Bruno Pavlovsky, président des Activités Mode de Chanel, « Karl Lagerfeld a écrit une page essentielle de la légende de Gabrielle Chanel et de la Maison Chanel, défilé après défilé, collection après collection. Par ses créations, il n’a cessé de sublimer les savoir-faire exceptionnels des ateliers Chanel et de ses Métiers d’art. Le plus grand hommage que l’on puisse lui rendre aujourd’hui est de suivre la voie qu’il a tracée en – je le cite – ‘continuant à embrasser le présent et à inventer le futur’. » De son côté, Alain Wertheirmer, CEO de Chanel salue « le génie artistique de Karl Lagerfeld, sa générosité et son intuition exceptionnelle qui lui donnaient un temps d’avance (et qui) ont largement contribué au rayonnement de la maison Chanel dans le monde. Au-delà du grand créateur auquel j’ai donné carte blanche au début des années 80 pour réinventer la marque, c’est un véritable ami et complice que je perds aujourd’hui.

C’est à Virginie Viard, Directrice du Studio de création mode, et la plus proche collaboratrice de Karl depuis plus de 30 ans qu’Alain Wertheimer a confié le soin d’assurer la création des collections et la tâche de perpétuer l’héritage de Gabrielle Chanel et du Kaiser.