Le service militaire, qui constituait pendant des années un des grands marronniers de la presse, est redevenu, par la grâce d’un Poutine et d’un Trump, un débat majeur en Europe.

Par Cadfael

Une mort annoncée de la société post-héroïque ?

La notion de société post-héroïque est due au politologue Herfried Münkler, de l’Université de Berlin, pour définir le monde après 1945. Les analyses de ce spécialiste de Machiavel et des questions de défense font autorité et débat en RFA, particulièrement en cette période.
Il constate que, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et l’absence de tout conflit sur le sol européen, l’exemplarité des cultes héroïques a disparu. Cette absence, perçue comme déstructurante, a permis un périmètre social transnational où le sens du sacrifice personnel est absent. Avec la destruction mutuelle assurée par l’arme nucléaire en cas de conflit, l’utilité d’une défense s’est délitée au sein des jeunes générations. Il souligne que le culte de l’héroïsme des années de guerre donnait des résultats « monstrueux ». Cette ambivalence du héros se retrouve dans les sociétés post-héroïques, qui en produisent également, qu’il s’agisse de sportifs, de vedettes ou, par exemple, de pompiers.
La faiblesse démographique des jeunes générations rend les guerres de masse trop coûteuses pour nos nations, qui tentent de compenser par une supériorité technologique. L’utilisation des drones dans la guerre d’Ukraine en est une illustration. Dans les démocraties libérales, le primat de l’individualisme ainsi que des politiques étrangères moins axées sur la défense des valeurs d’une société que sur celle des intérêts nationaux durs renforcerait la « vulnérabilité démocratique », selon Münkler.

Le grand retour du service militaire ?

Les pays nordiques sentent depuis longtemps le souffle de l’ours russe, ayant pour certains d’entre eux goûté à l’honneur douteux du statut de vassal de Moscou. Ils ont, avec les pays baltes, réintroduit la conscription. En 2023, la Finlande ainsi que la Suède sont devenues membres de l’OTAN, pacte qui, en termes de puissance militaire, pèse plus du double par rapport à la Russie.
Le Royaume-Uni, puissance militaire nucléaire et pilier de la défense européenne, a suspendu le service militaire dès 1960. Aujourd’hui, le débat sur une armée citoyenne y est relancé. Le Luxembourg a suivi en 1967, la Belgique en 1995, la France en 1997, l’Espagne en 2001, l’Italie en 2006, la Pologne en 2008, et l’Allemagne en 2011. Varsovie, ayant tiré les leçons de son histoire et de ce qu’il en coûte de faire confiance à la Russie, réarme à grande vitesse pour représenter actuellement la troisième armée européenne.
En France, Chirac, en démantelant le service militaire obligatoire, a opté pour une armée hautement professionnalisée et spécialisée. Aujourd’hui, l’armée française est considérée comme l’une des meilleures au monde. Un retour à la conscription semble d’autant plus difficile pour la France qui, selon ses propres spécialistes, a vendu ses casernes et n’aurait pas de quoi loger, habiller et former d’éventuelles recrues.

L’Allemagne démocratique et son armée

En RFA, la discussion est d’actualité. Au sein du gouvernement de coalition, il y a consensus sur l’attitude à adopter face aux menaces géopolitiques actuelles, dont une des conclusions est la volonté déclarée de réinstaurer la conscription. Lié par les engagements du chancelier sortant de tenir à disposition une force OTAN de 460 000 hommes, le probable nouveau ministre de la Défense, le socialiste Boris Pistorius, n’a pas le caractère à soustraire son pays à ses engagements ni à faire le dos rond face au Kremlin.
Selon les responsables militaires allemands, qui sont logés à la même enseigne que la France, le pays souffre d’un manque de candidats, d’infrastructures et de matériel, même si les usines d’armement fonctionnent à plein rendement. Le futur chancelier démocrate-chrétien voudrait rendre le service attractif et non obligatoire, avec un choix offert entre service civil ou en uniforme.

Et le Grand-Duché

En Belgique, un service militaire basé sur le volontariat sera inauguré l’année prochaine, malgré les difficultés d’infrastructures et de personnel d’encadrement dues aux décennies de désinvestissement. Au Luxembourg, on est peu enclin à sortir de sa zone de confort, pensant probablement passer entre les gouttes du fait de la petite taille du pays. Les partis de la coalition au pouvoir, l’opposition ainsi que la ministre en charge ont, selon la presse nationale, constaté de manière quasi consensuelle lors d’un débat à la Chambre des députés en janvier qu’il n’y avait pas de besoin de réinstaurer le service militaire.
Ce constat va à l’encontre des précédentes déclarations de la ministre de la Défense, qui gère encore deux autres ministères. On réfléchirait aux formes de « résilience » du pays, mot à la mode, utilisé à toutes les sauces. L’aurait-on confondu avec « dissuasion » ?
Dans Les guerriers de l’hiver, Olivier Norek parle de son fils : « De la fierté, de l’espoir, certainement, mais rien ne peut m’enlever cette peur qui s’est installée depuis ta naissance. Je prie pour que ta vie ne te force jamais à prendre les armes. »

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