La crise du Covid-19 a mis en lumière aux yeux du grand public des pénuries de médicaments nécessaires à la réanimation, mais celles qui sévissent en cancérologie ont été oubliées, selon la Ligue contre le cancer, qui lance une campagne contre ce fléau.
“Les premiers touchés sont toujours les médicaments pas chers, les innovations thérapeutiques qui coûtent la peau des fesses, on n’en manque jamais”, s’indigne le professeur Jean-Paul Vernant, hématologue engagé dans la bataille. C’est “un fléau silencieux qui s’aggrave d’année en année”, qui a pu s’aggraver avec l’épidémie de Covid-19, mais “en aucun cas n’a été créé par la Covid”, souligne Axel Kahn. Il s’agit “vraiment d’un problème qui est lié à la structure économique du marché du médicament”, et qui concerne des “médicaments indispensables”, essentiellement des génériques, très peu chers.
Pour des médicaments utilisés dans le cadre du traitement du cancer de la vessie (BCG intravésical, Amétycine…) difficultés, ruptures d’approvisionnement et arrêts de commercialisation ont sévi. “Dans un certain nombre de cas, certains cancers de la vessie qui étaient parfaitement tenus en respect par des instillations intravésicales ont dû, du fait de la pénurie de ces médicaments, faire l’objet d’une cystectomie totale (ablation de la vessie)” avec des conséquences qui bouleversent la vie des patients, rapporte Axel Kahn.
“C’est un exemple particulièrement dramatique des conséquences possibles des pénuries de médicaments : des pertes des chances”, ajoute le généticien. Des médecins disent qu’ils “bricolent” parfois pour trouver le médicament par exemple dans un pays voisin où il est vendu plus cher. L’information des personnes malades est “insuffisante”, constate-t-il (durée de la pénurie, possibilité de remplacer le produit manquant…).
Des sanctions financières contre les laboratoires
Le défaut d’information, Alain, atteint d’un cancer de la vessie diagnostiqué en octobre 2018 en est témoin. Il a commencé, six semaines après l’opération, un traitement d’administration hebdomadaire de BCG dans la vessie.
Pour la suite, “la chirurgienne m’a dit les infirmières vous appelleront… et puis rien, pas de nouvelles, les trois mois de la pause prévue étaient passés”, raconte-il. “La pénurie, je l’ai découverte en fouillant, et en m’adressant à des organismes comme ma mutuelle et l’Agence régionale de Santé (ARS)”. “Personnellement, je pense que la récidive (de la tumeur) est due à l’absence du traitement d’entretien”, dit-il. “J’ai dû repasser sur la table d’opération” mais “j’ai eu de la chance” de ne pas avoir eu à subir une ablation totale de la vessie.
La Ligue fait appel aux témoignages sur un site web penuries.ligue-cancer.net. En plus de cette collecte de “cahiers de doléances électroniques”, elle lance une campagne d’affichage : “Cher patient, pour votre médicament, merci de patienter”. Parmi, ses revendications la Ligue réclame des sanctions financières contre les laboratoires qui n’assumeraient pas l’approvisionnement, le recensement des malades concernés et des études mesurant leurs pertes de chances.
L’Europe comme soutien pour avancer
Les médicaments d’intérêts majeurs (au delà du cancer) doivent être considérés comme stratégiques et l’Europe doit tenir une liste de ceux-ci et les avoir à sa disposition, estime le Pr Axel Kahn.
“Avec Agnès Buzyn (alors ministre de la Santé), on avait parlé de faire des stocks de 4 mois pour éviter les ruptures prolongées”, mais selon lui, un décret à paraître passerait à “2 mois de stock. Ce n’est pas suffisant”. Pour le Pr Vernant, “il faudrait au moins 6 mois de stock”. Si on les avait eu, on n’aurait pas eu de problème pendant la crise du Covid-19 (pénuries de produits anesthésiques en réanimation: curare, propofol…), juge-t-il.
Parmi les solutions avancées, pour éviter de trop dépendre de l’Inde et de la Chine, la création d’un établissement public qui fabriquerait à prix coûtant, ou attribuer des avantages fiscaux à des entreprises pour leur éviter de travailler à perte.