Texte par Cadfael

La Grèce vient de faire un grand nettoyage au sein de l’extrême droite, le parti de « l’Aube dorée ». C’est la première fois depuis des décennies, qu’en Europe un parti ouvertement nazi ayant eu de nombreux membres au Parlement national et disposant encore d’un député au Parlement européen, est jugé, interdit et ses cadres envoyés en prison pour de longues peines. Ce verdict est historique et d’une exemplarité à bien des égards pour le reste de l’Europe.

Une lente montée en puissance

C’était la semaine dernière : certains condamnés se sont livrés spontanément d’autres, ont été arrêtés chez eux, un seul est en fuite. Trente-huit des cinquante condamnés ont ainsi été incarcérés, douze parmi eux incluant cinq anciens membres du Parlement grec, bénéficient d’une suspension de peine jusqu’au procès d’appel.

Créé au début des années 1980, ce groupuscule d’extrême droite s’est transformé en parti politique en 1993 ne manquant pas une occasion pour prêcher son adhésion au national-socialisme et pour répandre des paroles négationnistes, anti-LGTB, anti-arabes bref anti, tout ce qui ne ressemblait pas à l’image originelle de la Grèce. Durant la guerre dans l’ancienne Yougoslavie, certains de ses membres ont fait partie d’une unité de paramilitaires grecs. Elle a été présente aux côtés des l’armée Serbe lors des massacres de Srebrenica. Karadzic aurait décoré les volontaires grecs en 1995. Un fait passé sous silence par la presse grecque et nié par les concernés malgré des reportages pertinents, dont un diffusé sur une chaine de télévision publique néerlandaise. En 1993 l’archevêque orthodoxe n’avait-il pas invité le même Karadzic à visiter Athènes. Il déclarait pour l’occasion: « Nous n’avons que dieu et les grecs à nos côtés ».

Une accélération lors de la crise économique.

La très dure crise économique ainsi que les normes d’austérité imposées par la Troïka européenne à l’économie grecque ont laissé les habitants, surtout ceux des couches populaires, au bord de la famine et de la ruine, ouvrant un terrain très favorable à la propagande de l’Aube dorée. Dans les bureaux qu’elle ouvrait à travers la Grèce, la population pouvait recevoir de la nourriture ou une assistance. Ainsi aux élections de mai 2012 le parti se retrouve avec 21 députés au Parlement grec, et trois sièges au Parlement européen, recevant ainsi une légitimité démocratique.

Laissant derrière eux une trainée de violences et d’agressions, d’assassinats, de discours de haine et d’intimidation. Le meurtre de Pavlos Fyssa en 2013, artiste de hip-hop et ennemi déclaré des fascistes, sera le meurtre en trop. Il engendrera le début d’une enquête concernant l’Aube Dorée.

Une victoire très féminine

Il faudra un courage sans faille aux procureurs et juges d’instruction, en majorité des femmes, pour faire aboutir une instruction qui se soldera en 2015 par une mise en en accusation et un procès qui durera jusqu’en 2020.

Deux femmes juges d’instruction, Ioanna Klappa et Maria Dimitropoulou seront désignées par la première femme nommée procureur dans le système grec pour instruire l’affaire : l’assassinat de Fyssa. L’accusation incluera également les chefs d’assassinat, d’extorsion et de complicité dans la disparition d’une centaine d’immigrants. On reprochait entres autres, au chef du parti sa collaboration avec les service central de renseignement (KYP) au début des années 80, avec pour preuve un bulletin de salaire de 120.000 drachmes par mois, ce que celui-ci niait en prétendant qu’il s’agissait d’un faux. Le procès divulguera entre autres, des enregistrements téléphoniques dévoilant la connivence de policiers, notamment des membres des unités antiterroristes et anti-émeute, avec le parti.

Menaces et intimidations quasi quotidiennes n’empêcheront ces femmes de convoquer des dizaines de témoins, d’analyser des milliers de vidéos, photos et discours, documents et blogs et ainsi d’établir un dossier à charge de 15000 pages. Protégées nuit et jour par une unité de gardes du corps triés sur le volet, elles arriveront à la conclusion que face à l’impossibilité d’interdire un parti avec des représentants élus démocratiquement il était nécessaire de démontrer que cette structure était une organisation criminelle. C’est ce qui a été fait.

La présidente de la cour pénale et juge à la cour suprême, Maria Lepenioti, impressionnera les observateurs par la manière dont elle a mené les débats, avec un calme souverain et une autorité sans failles, sans jamais permettre aux prévenus de se lancer dans de grandes diatribes nazies et ceci face à un public comportant souvent une majorité d’hommes dont beaucoup de sympathisants nazis.

Un verdict à la hauteur des crimes commis

Le 7 octobre dernier le verdict tombe : le chef du parti et six anciens membres sont reconnus coupables en tant que dirigeants d’une organisation criminelle. Quarante-cinq autres députés et membres d’Aube dorée sont reconnus coupables d’appartenance à une telle organisation. Le 14 octobre dernier la cour pénale prononce des peines lourdes à l’encontre d’une cinquantaine de prévenus pour des crimes tels que direction d’une organisation criminelle, meurtres, agression, détention d’armes etc… Ces condamnations vont de la perpétuité pour le meurtrier de Fyssa, treize ans et dix ans pour les responsables majeurs et jusqu’à sept ans pour les autres.

Comment tout cela était-il possible ?

Du fait d’une classe politique inerte, d’éléments des forces de police complices, d’une opinion publique silencieuse. Maria Stratigaki, professeure de doit à l’Université du Panteion d’Athènes aa fait la remarque suivante à la presse « La justice est intervenue là où d’autres auraient déjà du le faire depuis longtemps. Notre système de justice est majoritairement composé de femmes-juges, ce sont elles qui sont les mieux classées aux examens et qui arrivent au sommet. C’est incontestable que cette affaire est une affaire de femmes. Pour un parti dont l’idéologie est basée sur la suprématie masculine et dont la vision du monde est militariste, c’est humiliant et douloureux. » L’Aube dorée a été battue avec les armes d’un système démocratique qu’elle voulait elle-même utiliser pour le faire tomber.

La bête immonde n’est pas vaincue

De l’ancien parti il reste un député européen, ainsi qu’une organisation de jeunesse très proche Galazia Stratia, l’armée bleu ciel, qualifiée de ramassis de hooligans par certains observateurs. De nombreuses ramifications internationales survivent. La question des financiers du parti n’a guère été abordée lors du procès. Les condamnés ont été en appel. Un des procureurs du système judicaire grec voulait les laisser en liberté jusqu’au procès d’appel, ce que la juge Lepenioti a strictement refusé.

Quoiqu’il en soit la justice grecque à posé un jalon fort sur le chemin des valeurs démocratiques et humanistes sérieusement menacées en Europe.

À LIRE AUSSI