L’interview de plus de deux heures de Poutine par un journaliste américain est le premier depuis l’invasion de l’Ukraine. Il constitue une mise en garde : ses ambitions impériales ne sont pas terminées.

Par Cadfael

Poutine, « un dictateur vicieux » ?

L’interview était consentie à Tucker Carlson, un ultraconservateur suprématiste, pro Trump et ancienne vedette de Fox News. Il a été licencié de la chaîne de Murdoch en avril dernier. L’interview a été diffusée sur la chaîne personnelle de Carlson sur « X » (ex Twitter) et sur YouTube, ce 8 février. Les deux premiers jours ont enregistré 12 millions de vues sur YouTube et 188 millions de vues sur « X ». Dans cette interview Poutine donne une version arrangée de l’histoire européenne, version qualifiée d’ « absurde » par la BBC. Il affabule sur une antériorité historique de la Russie sur l’Ukraine, qu’il considère comme manipulée par les Occidentaux dans le but de menacer Moscou. Ce narratif constant porte en filigrane la légitimation d’une récupération possible des composantes de l’ex empire soviétique avec ses états satellites. Questionné Poutine a assuré que la Russie n’avait pas l’intention d’envahir la Pologne, « seulement si la Pologne attaquait la Russie. /…/ nous n’avons aucun intérêt dans la Pologne et la Lettonie, ni ailleurs ». Cette interview a été considérée par la majorité de la presse occidentale comme un acte de complaisance envers Moscou. Un journaliste du New York Times a taxé Tucker Carlson sur CNN ce samedi de « scribe du dictateur le plus vicieux de notre temps. »

Le fidèle Donald.

Le 10 février, lors d’un meeting électoral, Donald Trump menaçait ses alliés de ne plus garantir leur protection face à la Russie. L’argumentation est à la hauteur du personnage. Selon l’AFP Trump se serait vanté publiquement en matière de défense, en cas d’une attaque russe, d’avoir dit à un chef d’Etat : “Non, je ne vous protégerais pas. En fait, je les encouragerais à vous faire ce qu’ils veulent. Vous devez payer vos dettes”. Il fait allusion aux contributions occidentales dans le cadre de l’OTAN, insuffisantes selon lui. On notera qu’au même moment Elon Musk, supporter de Trump, a fait des siennes ; une fois de plus. Au début de la guerre d’Ukraine, il avait mis son réseau satellite Starlink au service de l’Ukraine. Il avait fourni des milliers de terminaux de communication donnant un sérieux avantage technologique à Kiev en matière de communications, acquisition de cibles et gestion du champ de bataille. Selon le Financial Times du 11 février, le renseignement ukrainien a constaté que les terminaux sont utilisés par les forces russes de « manière systémique ». L’achat russe de cette technologie aurait pu se faire par un intermédiaire de Dubaï.  Le camp Musk nie toute faute ainsi que toute vente ou mise à disposition de sa technologie aux Russes.

Les Occidentaux s’offusquent.

Les déclarations de Trump ont provoqué des protestations scandalisées des gouvernements occidentaux et de l’OTAN. Il n’en demeure pas moins que les Européens, croyant la guerre froide terminée, ont baissé la garde en démilitarisant tous azimuts. Ces choix politiques s’avèrent aujourd’hui lourds de conséquences. Le chancelier Scholz vient de se prononcer en faveur de la relance d’une production d’armement européen à grande échelle. S’exprimant lundi dernier lors de la pose de la première pierre d’une usine de munitions d’artillerie, il avertissait que « nous ne vivons pas en temps de paix ». En RFA la discussion de l’acquisition d’armement nucléaire est relancée. La Grande-Bretagne qui demeure un pilier de la défense au sein de l’OTAN observe une France qui se montre enfin ferme face au Kremlin, mais manque cruellement de souffle financier. Les pays baltes et les pays nordiques savent à quoi s’attendre avec l’encombrant voisin russe et se préparent depuis des années. Ce réveil contraste avec les déclarations apaisantes d’un Poutine lors de l’interview. Les analystes y voient l’esquisse d’un monde en deux blocs : l’un avec un Trump néo- isolationniste, et l’autre sous la houlette russe visant un pacte de Varsovie bis. Cette perspective permettrait au Kremlin de s’occuper de la Pologne et des pays baltes et « plus si affinités », sous le regard bienveillant de la Chine. Ce serait une sorte de remake de l’annexion indirecte de vingt pour cent du territoire de la Géorgie en 2008, un test qui a montré la mollesse de réaction des Européennes. Les temps d’une nouvelle lucidité politique sont venus. Elle devrait s’inspirer de l’adage romain : « Si vis pacem para bellum » (si tu désires la paix prépare la guerre). L’Union européenne qui a perdu la main dans le jeu des alliances formelles et surtout informelles est toujours divisée et peine à faire face aux orages géopolitiques qui s’amoncellent.