Le 31 janvier 2020 à 23.00 heures de Londres, minuit pour le reste de l’Europe, les sujets de sa Royale Majesté la Reine, quittaient de leur plein gré, l’Union Européenne pour entrer dans une période de transition de onze mois.

Boris Johnson, l’excentrique politicien et son électorat conservateur, ont mis un point final à ce qu’un autre premier ministre conservateur, Mme Thatcher, avait commencé 47 ans plus tôt.

Boris Alexander de Pfeffel-Johnson est né en 1964, a vécu à New York et a été formaté à Eton. Il marchera dans les pas de son arrière-grand-père paternel, le journaliste ottoman Ali Kemal Bey, écrivain et politicien libéral, assassiné en 1922. La carrière de Boris au Times (dont il est viré pour avoir été trop libéral avec la vérité) et plus tard en tant que correspondant à Bruxelles pour le Daily Telegraph, en feront un solide eurosceptique. De ses  diverses fonctions dans la presse conservatrice dont la dernière en tant d’éditeur au Spectator, certains collègues garderont le souvenir d’un personnage farfelu et egocentrique, désinvolte avec la vérité. Ses activités lui confèreront une visibilité et prépareront sa rentrée en politique en 2001. Élu maire de Londres (2008-2016) il retournera au Parlement et un an plus tard, il deviendra ministre des affaires étrangères du gouvernement Theresa May.

Depuis ce personnage détonnant aux cheveux soigneusement maintenus ébouriffés, qu’on aura vu emmenant son petit chien blanc au bureau de vote ou portant un attaché case rouge, s’est révélé être un redoutable prédateur sur l’échiquier politique.

Un Royaume-Uni de moins en moins uni.

Depuis, l’émergence de la question du Brexit, le Royaume Uni, se fissure. Les Irlandais se questionnent au risque de remettre en cause l’accord du Good Friday, issu du referendum de 1998, qui scelle un modus vivendi pacifique entre l’Irlande du Nord, la République d’Irlande et l’Administration britannique.
Les Ecossais veulent rester au sein de l’UE et remettent à l’ordre du jour une volonté d’indépendance. La frange jeune et éduquée de la population anglaise pour qui, l’Europe n’est pas un vain mot, n’apprécie guère ce nouveau parfum d’isolationnisme. N’oublions pas l’électorat du Labour dont aujourd’hui on ne sait toujours pas quelle était la position de Jeremy Corby, leur leader très ancré à gauche.

What next ?

Boris prépare ses batteries pour les négociations à venir et bombarde Bruxelles de messages. Le 20 janvier dernier le Financial Times titrait : « La volonté de la Grande Bretagne de diverger des règles de l’Union Européenne devrait alerter Bruxelles ».
Trois jours après son « indépendance » Boris Johnson s’adressait aux ambassadeurs et milieux d’affaires en proclamant qu’il n’y avait pas besoin d’un accord de libre-échange impliquant l’acceptation des règles européennes en matière de concurrence, droits sociaux, environnement … de la même manière que l’Union Européenne n’était pas obligée d’accepter les règles de fonctionnement du Royaume Uni.
M. Johnson a fait son choix : il veut un accord de libre-échange identique à celui que le Canada et l’Union Européenne ont signé. Oui mais cet accord avec le Canada a demandé … cinq années de négociations.
D’autres options discutées sont de rejoindre l’EFTA (European Free Trade Association) qui regroupe l’Islande, la Suisse , le Liechtenstein et la Norvège et de s’associer fortement sur le plan commercial avec les États-Unis, ce qui correspond aux vœux de M. Trump. Le partenariat militaire entre l’Angleterre et les États-Unis est une réalité́ de longue date qui dépasse le cadre de l’OTAN.
Le Commonwealth et ses 53 États membres présentent une plateforme d’influence économique par un possible élargissement de l’accord de coopération technique sous la dynamique, le -Commonwealth Fund of Technical Cooperation-. Et bien sûr la « City », arme lourde de l’économie anglaise, fera feu de tout bois, ce qui ne manquera pas de pimenter la vie des places financières européennes.

La période de transition, une guerre d’usure de onze mois ?

L’Union européenne a fait comprendre à Londres que Gibraltar qui faisait jusqu’à maintenant partie de l’Union Européenne, n’intègrerait pas les accords futurs avec le Royaume-Uni et serait considéré comme une entité tierce. En cela elle soutient directement les revendications espagnoles qui considèrent Gibraltar comme terre historique de la couronne espagnole.

En contrepoint le gouvernement anglais a suspendu depuis le 31 janvier à minuit l’accès aux eaux de Guernesey pour les pécheurs français. 127 navires bretons sont directement concernés. Les eaux britanniques fournissent 30 % du chiffre d’affaires de la pêche française.

Toutes ces grandes et basses manœuvres pourraient être amusantes à suivre s’il n’était question d’un destin historique et du devenir d’une communauté européenne loin d’être soudée. A ce jeu là, tous seront perdants, l’Union Européenne et ses dirigeants, qui de leur tour d’ivoire bruxelloise n’ont pas su prendre la mesure de ce qui se jouait lorsqu’il en était encore temps, et la Grande Bretagne « enfin indépendante », mais à quel prix ? Il y a fort à parier que ce ne seront pas les amis conservateurs de Boris Johnson qui règleront la facture.

Texte : Cadfael