Paru le 7 janvier, à la veille de la publication de son dernier album, le dernier clip de David Bowie, qui illustre le titre Lazarus, montrait ce dernier allongé sur un lit d’hôpital, le visage à moitié caché par un bandeau mystérieux. Il avait suscité des commentaires à la fois élogieux et sarcastiques, certains fans y voyant l’annonce de sa mort prochaine. L’art de quitter ce monde, une mise en scène magistrale de la mort.

 

La planète terre a le blues

Le 11 janvier, très tôt dans la matinée, le compte Facebook de l’artiste poste une phrase des plus dramatiques, qui fut relayée par les médias du monde, annonçant sa mort «paisiblement, après une bataille courageuse de 18 mois contre le cancer». Il livrait pourtant, il y a quelques jours, un album fantastique, ultime testament musical, avant de s’en aller avec fracas. Constamment à la recherche d’idées nouvelles, à l’avant-garde de la musique, Bowie aux mille visages continue de surprendre. Après la disparition de Lemmy Kilmister, leader du groupe Motörhead, le mois dernier, il semble que le rock n’en finisse pas de perdre ses figures tutélaires. L’histoire était belle, la chute spectaculaire.

Le style Bowie n’appartenait qu’à lui: en avance sur son temps, il vécut autant d’existences qu’il imagina d’avatars. Tour à tour peintre, chanteur, musicien, producteur, acteur, jusqu’à certains aficionados qui percevaient en lui un prophète de la musique, Bowie est bien des choses et jamais ce que nous pensons. Artiste caméléon, il était un jeune homme tranquille, dandy londonien encore peu connu du grand public à ses débuts, qui jouera sur le travestissement vers la fin des années 60, installant les bases de Ziggy Stardust, son plus célèbre personnage, icône du glam rock. S’en suivront Halloween Jack, figure annonciatrice du mouvement punk ou Thin White Duke, personnage assez proche du véritable Bowie de la fin des années 70, ébranlé par une importante consommation de cocaïne, qui laissera sa place à Pierrot Lunaire au début des années 80.

Artiste tourmenté, Bowie signe avec Blackstar, la dernière expression d’une œuvre qui cherche à se comprendre. On y croise les spectres d’anciennes vies, les sons venus d’un lointain rappelant Heroes, I’m deranged, Outside et même par moment le cauchemardesque Scarry monsters. N’ayant jamais pu choisir entre le jazz et le rock, Bowie embrassera la musique, s’évertuant à briser les frontières. Ce travail de mémoire s’était déjà manifesté avec la parution de l’album The Next Day, retour inattendu après dix ans de silence. Le clip de The Stars Are Out Tonight incarne la plus belle illustration de cette fin orchestrée; un vieil homme à la vie bien rangée, voit ressurgir les fantômes de son passé, des créatures qu’il avait lui-même imaginé au cours de son existence.

 

Un mythe de son vivant

Derrière Blackstar, l’idée était «d’enregistrer un album de David Bowie avec des musiciens de jazz qui ne joueraient pas nécessairement du jazz», a récemment expliqué Tony Visconti, producteur attitré de la vedette, sur la radio américaine NPR Tony Visconti. Ce 28e album, testament d’une icône qui refuse les conventions et les formats, délivre une expérience sensorielle qui marquera les prochaines générations. Bowie déclame d’une voix de velours ses paroles sombres, virevoltant avec délicatesse et inquiétude sur les batteries et saxophones fous hérités du free jazz. Blackstar est un disque plein de reliefs, avec une grande diversité de personnalités qui offrent leur talent, afin d’illustrer la vision grandiose et effrayante de Bowie. On explore les paysages sonores insensés de ce jazz électrique futuriste, testament d’un compositeur intemporel, traversant des anfractuosités abyssales, jouant sur des signatures mélodiques fouillées et des atmosphères inquiétantes. Le tout est agencé avec une subtilité qui efface la frontière entre organique et synthétique. Bowie nous entraîne dans les turpitudes de son esprit sans se demander s’il va plaire. Tant mieux! Un disque ne respecte jamais autant son public que lorsqu’il décide de l’oublier, pour mieux se jouer des codes et aller vers l’inconnu. Bowie est un artiste sans concession, qui arpente les chemins d’une musique frondeuse et libérée.

Aujourd’hui, le monde la musique se presse pour présenter ses hommages. Iggy Pop, Madonna, Kanye West ou encore les Rolling Stones, sont interpelés par les médias ou évoquent leur tristesse sur les réseaux sociaux. Bowie apparaît comme le messager d’une musique nouvelle, qui inspira au-delà du rock et de la pop. La liste des artistes qui se réclament de lui est sans fin, ou presque… C’est un chapitre de l’histoire, avec un grand H, qui se tourne. Un chapitre qui commença le jour où il présenta Ziggy Stardust dans l’émission Top Of The Pops, en juillet 1972. Cheveux rouges et combinaison multicolore, ce jour fut une révélation pour le monde.

 

Etienne Poiarez

 

Crédit photo: AFP Photo Betrand Guay