Par Cadfael
Europol et son organisation aînée Interpol, ont enregistré de beaux succès contre la criminalité mafieuse ces dernières années, mais n’est-ce pas une goutte d’eau sur une pierre brûlante. Bruxelles a réagi très tard en activant le Parquet européen.
Les banquiers du crime
Afin d’optimiser les profits et de garantir une bonne gestion des montants colossaux générés par leurs activités hors la loi, les groupes criminels, comme les entreprises, ont besoin d’une gestion de leur cash-flow. Certains sous-traitent les flux financiers aux moyens de réseaux financiers spécialisés dans le blanchiment, le payement des sommes dues pour activités logistiques et assurent le retour sur investissement aux boss qui souvent se trouvent hors d’Europe et en zone sure. Ensuite viennent les investissements dans des secteurs légaux où l’immobilier est très prisé.
Europol et le quotidien espagnol El Pais communiquaient le 14 octobre dernier sur une opération de police du 27 septembre dernier. 200 agents ont démantelé la plus grosse banque mafieuse des dernières années après pratiquement deux ans de surveillance. Ce réseau financier était installé dans 21 locations à Madrid et dans les provinces de Malaga et de Tolède. Résultat : 32 arrestations et des saisies importantes. Plus de 2.9 millions de cash saisis dont 2.4 millions d’euros au moment où les membres du groupe les chargeaient dans des véhicules spécialement aménagés, des comptes en bitcoin pour un montant de 1,5 million, 11 véhicules de luxe, 70 kg de haschich, 1.2 tonne de marihuana et 995 plants du même produit. Le siège central de la banque selon El Pays se trouvait dans un restaurant d’un pôle industriel de Madrid qui est le plus grand centre d’échange de marchandises chinoises d’Europe.
Le chef du groupe, un syrien de 36 ans, son avocate et des membres de sa famille ont été placés en détention. Il aurait pris la succession de son père décédé récemment. Celui-ci lui aurait laissé un portefeuille de clients important. Il sous-traitait les activités financières d’une narco-organisation libano-colombienne, mais pas seulement. Son « chiffre d’affaires » s’élevait à plus de 32 millions d’euros par an. La police espagnole estime que ce montant pourrait être beaucoup plus important, car l’organisation utilisait le Hawala, le traditionnel système islamique de transfert d’argent sur lequel il n’y a pratiquement pas de traces écrites ni de mention d’origine des fonds. Il se servait également des cryptomonnaies activées par des complices opérant à partir de magasins chinois. Les activités bancaires couvraient pratiquement toute l’Europe, le Proche-Orient, l’Amérique latine et la Chine. Le chef avait prévu des acquisitions immobilières à Dubaï pour diversifier et son siège et ses investissements.
Une menace insidieuse pour la société
Cette opération espagnole est symptomatique de l’internationalisation de certains groupes criminels. Le dernier rapport SOCTA d’Europol « Serious and Organized Crime Threat Assessment » qui fait le point sur la criminalité organisée date de décembre 2021. Il analyse une « influence corruptrice : l’infiltration et la pénétration de l’économie et de la société européenne par le crime organisé ».
Le rapport conclut à une nécessité de renforcement de structures policières transnationales aptes à travailler de manière quasi furtive. Elles seraient le seul moyen de combattre efficacement les quatre grandes organisations mafieuses, la Ndrangheta calabraise, la Cosa Nostra sicilienne, la Camorra de Campanie et la Sacra Corona Unita des Pouilles qui sont devenues depuis des années des structures transnationales bien implantées. Selon IPG, une publication de recherche de la fondation Friedrich Ebert proche du parti social-démocrate allemand, ce sont les Calabrais qui sont les plus expansifs et qui contrôlent depuis des années la majeure partie du trafic de cocaïne en Europe. Leur chiffre d’affaires annuel est estimé à 50 milliards d’euros. Un rapport du très sérieux collectif de journalistes OCCRP en date du 15 février 2021 traite de leur présence à Differdange au Luxembourg.
Selon les experts allemands, elle est organisée comme une société holding qui gère divers segments de marché. Discrète, elle éviterait les effusions de sang spectaculaires et passerait ainsi sous les radars des agences de police spécialisées. Conclusion d’IPG : « La politique ignore le problème, les médias également et le grand public en déduit qu’il est résolu. »
Le Parquet européen débute enfin
Les états membres se sont enfin mis d’accord, pour activer le Parquet européen. Prévu par le traité de Lisbonne (2007) il sera fondé dix ans plus tard en 2017. Il mettra de nouveau 4 ans a débuter son travail, 22 états membres participent, la Hongrie, la Pologne et la Suède font bande à part. Le Danemark et l’Irlande disposent d’une dérogation sur certaines questions.
Avec un bureau central et des procureurs délégués dans chaque pays des enquêtes et poursuites pénales diligentées par l’Union européenne deviennent possibles. L’innovation réside dans le fait que les états participants délèguent certains droits souverains en matière d’enquête à une unité centrale européenne, décentralisée et indépendante. Celle-ci ne peut malheureusement enquêter uniquement sur des crimes qui se font au détriment du budget de l’Union européenne.
La nomination des procureurs délégués posait problème, les candidats européens ne se bousculaient pas à Luxembourg comme ailleurs. En fonctionnement depuis plus d’un an, le Parquet aurait enregistré un premier succès dans une affaire de carrousel à la TVA avec implication, qui l’eut cru, de la ‘Ndrangheta.