Texte par Cadfael

Les réseaux sociaux, manipulés par des gourous leader d’opinion, permettent de gommer arbitrairement aussi bien des idées, des Hommes et in fine de larges pans de culture.

Sauvons Pepe le Putois

Dans l’indifférence générale Pépé le Putois risque de disparaitre. Ni « Fridays for future » ni d’autres défenseurs de toutes les minorités de la terre et de l’univers ne s’en préoccupent. Et pourtant Pépé, ce personnage des Looney Tunes, mérite de vivre, car Pépé est devenu le symbole des victimes de la « cancel  culture ». 

Pépé censuré

Le site « deadline.com » du 6 mars nous apprend qu’un chroniqueur du New York Times, défenseur des droits de minorités, a lancé un oukase contre Pépé le Putois qui ne lui a rien demandé. Pépé a été créé en 1945, c’est un putois considéré comme un français en recherche en permanence l’amour et la reconnaissance. Il  est obsessionnellement dragueur et collant. L’objet de tous ses désirs s’appelle Penelope Pussycat, une adorable chatte. Evidemment Pépé n’atteint pas son objectif malgré tous les ronds de jambe exécutés.

Voilà qu’apparait, dans un ciel politique particulièrement torturé, un membre d’une minorité, chroniqueur du New York Times, qui le 6 mars dernier, dans un tweet, affirme que le personnage de Pépé en « rajoute à la culture du viol » Les arguments du monsieur sont les suivants : 

« Pépé embrasse / touche une fille / étrangère de manière répétée sans son consentement et contre sa volonté. 2) elle se bat contre lui mais lui ne la lâche pas. 3) il ferme une porte et l’empêche de sortir. Il est vrai que Pénélope était souvent dans les bras de Pépé ». 

On notera que parmi le personnage des Looney Tunes il rejoint ainsi Elmer Fudd, celui qui chasse le lapin Bugs Bunny. Elmer a été privé de son fusil dans le cadre de la politique de contrôle des armes soutenue par le groupe Warner Bross. Pépé est interdit de présence dans un film qui devait sortir prochainement et où sa partenaire devait être la brésilienne Greice Santo remettant Pépé sèchement à sa place, avec LeBron James faisant une leçon de comportement à Pépé. Greice Santo a très mal pris cette censure de la scène.

Dans cet ordre d’idées il faudrait censurer Speedy Gonzalez, archétype du mexicain ainsi que Road Runner pour excès de vitesse. Ce ganti volatile de la famille des coucous court très vite pour échapper au coyote qui a pour seul objectif de le manger. Miss Piggy née en 1955 vedette du Muppets Show est potentiellement candidate au gommage, elle harcèle Kermit la grenouille de ses avances que celui-ci ignore. Ne parlons pas des dessins animés de Tex Avery qui eux, à l’aulne du chroniqueur du New York Times, devraient brulés en place publique.

La Cancel Culture

Pierre Ruetschi, chargé de conférence au Media@Lab de l’université de Genève, président du club suisse de la presse de Genève et ancien rédacteur en chef de la Tribune de Genève décrit ainsi ce mouvement la Tribune du 19 mars. : « Le processus est le suivant. Une phrase sexiste ou jugée raciste sur Twitter. Un surfeur «woke», soit « éveillé » et doté d’une conscience affirmée de justice sociale, d’un sens aiguisé de la non-discrimination des sexes et des races, hurle son émotion et dégoût sur le réseau. Ses followers «woke» vont le suivre par milliers puis se multiplier par millions. L’infâme est massivement discrédité, conspué, insulté et finalement annulé « canceled », sans autre forme de procès. Anéanti sur les réseaux sociaux, il peut aussi perdre son emploi, son public ou ses clients. « Justice » est rendue. Il n’y a ni excuses, ni prescription, ni recherche de vérité. »

Cet état des choses ne va pas sans rappeler « Ubu Roi » d’Alfred Jarry, pièce de théâtre écrite en 1896 où le Père Ubu déclame : « Amenez le premier Noble et passez-moi le crochet à Nobles. Ceux qui seront condamnés à mort, je les passerai dans la trappe, ils tomberont dans les sous-sols du Pince-Porc et de la Chambre-à-Sous, où on les décervèlera ».

Actuellement aux Etats-Unis, on passe à la trappe sur base d’un tweet correspondant une vision restreinte du monde. On est excommunié par une pensée unique simplifiante, relayée par des leaders autoproclamés aux nombreux followers formatés à tort ou à raison.  La Cancel culture en marche a fait des victimes chez les journalistes du New York Times, du Guardian entre autres et elle est en train de s’installer chez nous au détriment d’une tradition de pensée historique qui défend une vision ouverte, humaniste et universelle. La pression peut être telle que le New York Times a décidé d’écrire « Black » en majuscule et « white » en minuscule.

Ce processus de prise de pouvoir à l’aide des réseaux sociaux est amplifié par les algorithmes de ces mêmes réseaux pour lesquels chaque clic représente du chiffre d’affaires.

Des mouvements néo-sectaires

La Cancel Culture vit de l’immédiat, de sa rapidité de diffusion de masse et est par essence opposée au débat, à la recherche d’une vérité, à l’approfondissement d’une idée ou d’un argument.  La légitimité de ceux qui imposent via les réseaux sociaux est floue. Elle se définit au nombre de followers, qu’on manipule et abuse, nous voyons l’émergence d’un phénomène de néo-sectes. Il convient de souligner que pour imposer, il est nécessaire d’avoir des citoyennes et citoyens qui se laissent imposer quelque chose, qui se laissent dessaisir de leur libre arbitre au nom d’un vague politiquement correct. La culture européenne d’une éducation qui va aux fonds des choses, qui travaille la contradiction, la logique et repose sur des acquis et valeurs risque beaucoup, mérite mieux et exige notre vigilance et notre engagement. C’est en son nom qu’est mort Samuel Paty en octobre dernier, égorgé par des fanatiques.

Notre liberté de penser, de débattre, de provoquer, de comprendre est mise en échec à chaque fois qu’une forme ou un autre d’un puritanisme permettra d’annuler un livre, un journaliste, un film sur base d’une dynamique insidieuse. 

Chez nous aussi

Rappelez-vous d’Amanda Gorman, cette jeune poétesse de couleur ayant déclamé un de ses poèmes lors de l’installation de Joe Biden. Son recueil de poèmes devait être traduit par Marieke Lucas Rijneveld, écrivaine belge qui à 29 ans est la plus jeune lauréate de l’« International Booker Prize » pour son premier roman. Ce choix avait été fait en commun avec Amanda Gorman, l’autrice africaine-américaine. Mais voilà, parce qu’une journaliste et militante noire affirmait qu’une personne de couleur aurait dû être choisie pour ce faire, et face au tollé ainsi déclenché,  la Belge a philosophiquement renoncé.

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