La prostitution est légale dans plusieurs pays, y compris l’Allemagne, les Pays-Bas et la Turquie. En 2022, la Belgique a dépénalisé la prostitution et, avec ce nouveau cadre contractuel, elle innove en devenant une première mondiale.
Texte : Laura Tared
Les travailleurs et travailleuses du sexe bénéficient désormais en Belgique de contrats officiels, de la sécurité sociale, de droits à la retraite, ainsi que de congés maladie et maternité. Cette loi, issue d’un processus laborieux, marque un éloignement significatif entre les législations française et belge. Un tour d’horizon permet de comprendre le cheminement de cette loi, les obstacles à l’extension de la loi en Europe et dans les pays où, bien que légale, la prostitution reste souvent associée à la traite d’êtres humains.
L’HISTOIRE D’UNE LOI UNIQUE
En Belgique, payer pour des services sexuels n’a jamais été illégal. Toutefois, la criminalisation des propriétaires de chambres et maisons closes rendait le travail du sexe peu sécurisé. Ces derniers, souvent accusés de proxénétisme, refusaient leurs services aux travailleurs du sexe (TDS). La décriminalisation, actée le 1er juin 2022, vise à sécuriser leur activité. Le travail du sexe est désormais exclu du Code pénal et les prostitués peuvent exercer sous contrat ou comme indépendants. Certains actes restent illégaux : exploiter ou contraindre quelqu’un à se prostituer, ou enfreindre les termes d’un accord préalable. La loi reconnaît la prostitution comme un métier avec droits au chômage, sécurité sociale et retraite. La publicité est autorisée pour les majeurs via des plateformes spécifiques. Le ministère de la Justice a publié des conseils pratiques pour éviter les violences et préserver l’anonymat des TDS et renvoie vers des organisations de soutien. Le syndicat libre, engagé de longue date, a joué un rôle clé dans la réforme et l’acquisition de ces droits sociaux.
Cette réforme a été accélérée par la pandémie de COVID-19, qui a exposé la précarité des TDS. Lors du confinement de mars 2020, leurs activités furent interdites, laissant beaucoup sans revenus. En réponse, UTSOPI, le syndicat des TDS, a lancé un projet d’aide incluant une collecte de fonds et une distribution alimentaire. Cette initiative a mis en lumière leur absence de droits et renforcé le plaidoyer pour la reconnaissance du travail sexuel. En février 2021, une manifestation à Bruxelles dénonça l’inégalité de traitement après la réouverture des salons de coiffure et d’esthétique, mais pas des activités liées au travail du sexe.
Malgré l’opposition du lobby anti- prostitution, qui craignait une hausse de la traite des êtres humains, le projet de loi a été validé. L’ONU avait déjà dénoncé l’amalgame entre traite et travail du sexe comme une violation des droits humains. Aujourd’hui, la Belgique considère la prostitution comme une activité professionnelle à part entière.
ET AILLEURS : TURQUIE, FRANCE, LUXEMBOURG ?
Pour comprendre ce qui rend la loi belge exceptionnelle, un tour d’horizon des législations et des débats en cours dans les pays où la prostitution est légale est nécessaire, ainsi que dans ceux où la prostitution est légalisée mais où les clients sont criminalisés, comme en France. Ce paradoxe étonnant soulève la question : comment ces travailleurs peuvent-ils exercer leur métier sans clients ?
En Turquie, la prostitution est légale et contrôlée depuis la sécularisation de la société turque en 1923 par Ataturk dans des établissements autorisés par licence. Des organismes de réglementation délivrent des cartes d’identité aux travailleurs du sexe qui leur donnent droit à des soins médicaux gratuits et à d’autres services sociaux, mais la promotion de la prostitution est passible de deux mois à quatre ans d’emprisonnement. Les femmes doivent être enregistrées et avoir une carte d’identité indiquant les dates de leur dernier bilan de santé. Seules les femmes peuvent s’inscrire en vertu de ce règlement. Parallèlement, la Turquie est une destination de choix pour les victimes de la traite des êtres humains en relation avec le commerce du sexe, selon un rapport produit par l’Office des Nations unies ; le crime organisé russe se livre au trafic de femmes russes et ukrainiennes à des fins de prostitution. Aussi, le pays serait l’un des plus grands marchés pour les esclaves sexuels des anciens États soviétiques : « Environ 5 000 femmes, dont plus de la moitié de Moldavie et d’Ukraine, travailleraient comme esclaves sexuelles à travers la Turquie ».
En France, où la prostitution est également légale en tant qu’activité libre, relève de la sphère privée. Le réglementarisme, basé sur l’idée d’exutoire, « d’égout séminal » pour les hommes a été ce que l’on a appelé le « système français » jusqu’en 1946.
La fermeture des maisons closes marque alors une nouvelle approche, apparemment moins policière, davantage marquée par des préoccupations prophylactiques, avec le passage du fichier des mains du ministre de l’Intérieur à celles du ministre de la Santé (Loi Marthe Richard). Les TDS ont des droits définis dans la loi du 13 avril 2016.
Cette loi abroge le délit de racolage et prévoit la pénalisation des clients. Elle prévoit des mesures de protection et d’accompagnement des TDS, qui sont désormais reconnus comme des victimes et non plus comme des délinquants.
Ses partisans la qualifient de réforme sociétale importante. En réalité, en France, la prostitution est surtout considérée comme une forme d’oppression et de violence. Si les personnes qui se prostituent ne sont pas dans l’illégalité, la loi française interdit en revanche le recours aux services d’une prostituée.
« La prostitution sera traitée comme un travail. C’est l’expression même du Service public de la Justice belge. »
Le « client » risque ainsi une amende de 1 500 euros. Celle-ci passe à 3 750 euros en cas de récidive. Les peines sont alourdies lorsque la personne qui se prostitue est mineure. Elles peuvent atteindre 7 ans de prison et 100 000 euros d’amende. Dans ce paradoxe français, quel bilan huit ans après la loi de 2016 qui légalise la prostitution et criminalise le client ? Le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes estime que beaucoup reste à faire pour appliquer pleinement cette loi sur l’ensemble du territoire et dit craindre que la guerre en Ukraine, qui entraîne le déplacement de millions de réfugiés en Europe, ne provoque une hausse du trafic sexuel.
Au Luxembourg, la prostitution n’est pas interdite ; ni la personne qui se prostitue, ni le client ne sont pénalisés, mais le pays opte pour son propre modèle. Il entend renforcer sa législation dite « stratégie de sortie » : « exit ». Le Luxembourg considère que le renforcement de l’encadrement psychosocial et médical des personnes prostituées seul, peut avoir un vrai impact sur la diminution de la prostitution au Luxembourg. Le projet de loi 7008 s’appuie sur le plan d’action Nationale (PLAN) et il concerne uniquement la prostitution dite « forcée ». Une personne prostituée peut être affiliée à la Sécurité sociale en tant que « travailleur intellectuel indépendant ».
Le Luxembourg, à l’inverse de la France, considère que la pénalisation du client est une solution « simpliste » qui a pour effet de déplacer la prostitution dans des lieux invisibles et inaccessibles des autorités et des agents sociaux. Le modèle luxembourgeois ne se fonde pas sur la répression mais sur l’éducation. Stratégie Exit. La sortie de la prostitution est le but ultime du Luxembourg. Croix-Rouge, ministères, ADEM (France Travail), associations doivent amener les TDS à quitter le milieu du commerce du sexe et les aider à mettre en place un autre projet de vie.
Le Luxembourg s’appuie sans faiblir sur la Convention de New York adoptée le 2 décembre 1949, pour la répression de la traite des êtres humains qui considère dans son préambule que « la prostitution et le mal qui l’accompagne, à savoir la traite des êtres humains en vue de la prostitution, sont incompatibles avec la dignité et la valeur de la personne humaine et mettent en danger le bien-être de l’individu, de la famille et de la communauté ».
Ces trois pays illustrent les approches variées en matière de gestion de la prostitution. Chaque législation reflète une philosophie différente sur la manière de traiter un sujet aussi complexe que la prostitution, à l’intersection de la philosophie de l’amour et de celle de l’argent. Est-ce une question de liberté individuelle ou de morale publique ?
La Belgique, avec sa nouvelle législation, offre un modèle potentiel de traitement de la prostitution comme une profession légitime, soulignant ainsi les différences significatives dans les approches nationales à travers l’Europe.
Article initialement publié dans Femmes Magazine n°263 édition de février 2025, à retrouver ici.