Par Cadfael
Les territoires énormes du Sahara occidental (266.000 km2), délimités par le Maroc, l’Algérie et la Mauritanie comptent parmi les régions les plus arides et inhospitalières de la planète. Après la signature d’un accord tripartite en 1975 entre le gouvernement du général Franco, la puissance coloniale d’un côté et le Maroc et la Mauritanie en tant qu’héritiers historiques de l’autre côté, le transfert des territoires qui s’ensuivra, ouvrira un long pèlerinage diplomatique vers une solution acceptable.
Des terres arides et riches
Un projet d’un referendum d’autodétermination sous l’égide des Nations unies lancé par Madrid en 1974, sera enterré après des protestations marocaines qui prendront la forme d’une « marche verte » en faveur du retour des provinces du Sahara vers Rabat. Elle réunira 350.000 « volontaires ». Le Maroc occupera les deux tiers nord et la Mauritanie les provinces du Sud. Les Espagnols quittent les lieux en rapatriant leurs morts. Les vastes étendues de sable et de pierre du Sahara recèlent des richesses naturelles colossales dont les plus importants gisements de phosphates de la planète, 1200 kilomètres de côtes très poissonneuses ainsi qu’une nappe phréatique souterraine de la taille des trois quarts de la France. Les spécialistes parlent également d’importantes réserves de fer, titane, vanadium, manganèse, pierres précieuses et de pétrole, sujets sur lesquels Rabat reste muet.
Luttes de pouvoir sur fond de guerre froide
Le monde est en pleine guerre froide et l’Algérie, indépendante depuis 1962, se profile sur la scène internationale comme le soutien par excellence des mouvements de libération et de décolonisation en Afrique. Se définissant elle-même comme « une des citadelles des hommes libres, des révolutionnaires et des militants africains pour la liberté et l’affranchissement des chaines du colonialisme », elle agit avec le conseil actif des services soviétiques qui forment également les cadres du régime algérien. En 1973, des nationalistes sahraouis en exil, inspirés par les courants anticolonialistes de l’époque, créent le mouvement de Libération du Sahara, le futur Front Polisario qui déclenche une lutte armée contre les colonisateurs espagnols. En février 1976, les Sahraouis proclament officiellement la formation d’un gouvernement en exil de la République arabe sahraouie démocratique. Pour Alger, rien de mieux que quelques illuminés, endoctrinés pour créer des tensions par l’intermédiaire d’un Front de libération, plantant ainsi une belle épine dans le pied du Royaume du Maroc. La guérilla sahraouie continuera avec de l’armement soviétique fourni initialement par l’Algérie, Cuba et la Lybie, matériel qui représente encore aujourd’hui la base de son armement. Sous pression des actions du Front Polisario, après un coup d’État, la Mauritanie renonce en août 1979 à ses prétentions sur le Sahara et l’ensemble est occupé par le Maroc qui en assure la gestion administrative.
L’ONU négocie un cessez-le-feu en septembre 1991 : selon les jurisconsultes et la doctrine traditionnelle de l’ONU, le Sahara occidental est aujourd’hui un « territoire non autonome » et ne pourra être souverain qu’après la tenue d’un referendum. Afin de bloquer les incursions du Front Polisario, le Maroc construira entre 1980 et 1987 un mur de 2720 km au Sahara. Il bénéficiera de l’aide de techniciens français, d’experts israéliens pour les systèmes électroniques de surveillance et de fonds d’Arabie saoudite. Cela permettra de sécuriser l’exploitation de certaines richesses comme le phosphate, ce que le Polisario considère comme du pillage illégal.
Le refus d’une autonomie limitée
En 2007 le Maroc proposera une autonomie limitée avec un gouvernement décentralisé du Sahara doté de pouvoirs fiscaux et budgétaires. Les relations extérieures, la sécurité et la Défense resteront marocaines au grand déplaisir d’Alger, ce qui entraine un refus catégorique de la part du Polisario qui préfèrera plutôt que des dizaines de milliers de ses « nationaux » croupissent dans des camps dans le désert algérien. La situation n’évolue guère jusqu’en 2020 où l’administration Trump reconnait la souveraineté du Maroc sur ces territoires en contrepartie d’une reconnaissance officielle par Rabat de l’État d’Israël. La position de l’administration Biden demeure inchangée depuis lors.
Un jeu diplomatique complexe
En avril 2021 le chef du Polisario est soigné dans un hôpital espagnol. Il y arrivera, sous un faux nom, avec un avion médicalisé de la présidence algérienne le 18 avril pour repartir de la même manière le 1er juin. En protestation, le gouvernement marocain relâche son contrôle sur l’immigration avec comme résultat immédiat qu’environ 10.000 immigrants envahissent l’enclave espagnole de Ceuta pourtant fortement défendue. Le gouvernement Sanchez renonce à l’idée du referendum sur l’autodétermination du Sahara et se découvre une grande sympathie pour le plan marocain sur le Sahara occidental. L’Algérie, officiellement en soutien du Polisario, et surtout en défense de ses propres visées sur les richesses du Sahara, utilise un prétexte technique pour bloquer les livraisons de gaz qui passent par le pipeline MEDGAZ vers l’Espagne. Les livraisons reprendront, mais avec des volumes moindres, situation qui perdure. Selon l’agence économique Bloomberg, Alger envisagerait également une hausse de ses prix malgré ses engagements contractuels. Alger bloque également les livraisons directes de gaz vers le Maroc en fermant le gazoduc Maghreb-Europe. Rabat perd de ce fait une centaine de millions d’euros en droits de transit annuels. En compensation, l’Espagne achemine du gaz liquéfié vers le Maroc que celui-ci a négocié sur les marchés internationaux. Les deux pays utilisent le tronçon de MEDGAZ qui relie les deux pays.
Les temps changent
Sur fond de guerre d’Ukraine et d’arrêt des livraisons russes de gaz, l’échiquier du jeu énergétique est en train de changer au détriment d’Alger, pourtant encore plus courtisée par Moscou que d’habitude. Madrid s’est tourné vers les États-Unis qui sont en train de détrôner Alger comme premier fournisseur de gaz. Un nouvel arrivant sur la scène, l’État d’Israël est en voie de renforcer l’exploitation de gigantesques gisements de gaz découverts en Méditerranée. En mai le pays a signé un accord qui devrait permettre à son gaz de transiter par l’Égypte vers l’Union européenne.
Pendant ce temps le chancelier allemand, qui a besoin de gaz avant l’hiver pour chauffer son pays, mais refuse de relancer la production d’énergie nucléaire, tente de convaincre la France et l’Espagne de construire un gazoduc au tracé environnemental plus que problématique pour que Berlin ait chaud