Le mois de mai a été chaud à Jersey, petite île aux larges des côtes françaises. « Nous n’irons pas en guerre contre la France » titrait la presse locale…

Du jamais vu en Europe

Avec sa sœur Guernesey, toutes deux bien connues des banquiers, situées dans la baie de St. Malo, Jersey n’est même pas à 25 km des côtes républicaines. En ce mois de mai 2021, la marine de sa gracieuse majesté, sur demande expresse du gouvernement de Jersey a envoyé deux bâtiments de guerre pour protéger le port principal de l’île, St Hélier. Le HMS Severn patrouilleur d’une longueur de 80 mètres et armé d’un canon suisse Oerlikon et de deux mitrailleuses belges des Fabriques Nationales de Herstal ainsi que le HMS Tamar d’une longueur de 90 mètres, lui aussi armé d’un canon Oerlikon à tir rapide et de deux fusils mitrailleurs ainsi que de deux mitrailleuses d’appoint avec la possibilité d’embarquer un hélicoptère de combat, donc du sérieux. Le but : défendre une souveraineté soi-disant menacée par la France. En effet une petite flottille de bateaux de pêche français manifestait devant le port de St. Hélier en en « bloquant » l’accès.

La République, pas en reste, envoyait en mission les bâtiments Athos de la gendarmerie maritime  et le patrouilleur côtier Themis de la direction des affaires maritimes. L’Athos, seule embarcation de la marine française à être conçue entièrement en bois de hêtre, avec une longueur de 31 mètres et le Themis d’une longueur de 52 mètres, toutes deux équipées d’une mitrailleuse browning avaient malgré tout l’air un peu chétives face aux gros bras de Londres. Leur présence devait signaler les intérêts de la République et surtout montrer à un électorat de pêcheurs que Paris les soutenait. Lors des élections régionales de dimanche dernier cet électorat s’est montré particulièrement ingrat envers le locataire de l’Élysée.

Le baillage de Jersey une erreur de l’histoire ?

Le baillage de Jersey est une dépendance de la couronne indépendante, qui se gouverne elle-même et ne fait pas partie du Royaume-Uni ni de l’Union Européenne. Cette démocratie parlementaire possède une personnalité internationale différente de celle du Royaume-Uni qui en revanche est constitutionnellement responsable de sa défense extérieure. C’est à ce titre que le « ministre en chef », titre du premier ministre, a fait appel à la marine de guerre afin de défendre le libre passage des eaux territoriales du baillage.

Contrairement à Gibraltar, Jersey n’a jamais fait partie de l’Union Européenne et est considéré comme un territoire associé non soumis au régime fiscal général. L’île bénéficie pour ses exportations vers le bloc des 27 d’une exemption de taxes. Un accord de libre circulation la relie aussi bien à celui-ci qu’au Royaume Uni.

Autre particularité on ne peut pas exercer en tant qu’avocat, inscrit au barreau de la cour royale de Guernesey, si l’on n’a pas étudié le droit normand, toujours appliqué là-bas. C’est à Caen qu’on forme et délivre le seul diplôme au monde qui donne accès à l’exercice de cette profession à Jersey et Guernesey. Les privilèges de l’île obtenus en 1204 lors qu’elle fit allégeance au souverain anglais et non à celui de France s’avèrent aujourd’hui handicapants.

Encore le Brexit

Ne faisant pas partie du Royaume-Uni, les négociations du Brexit ne concernent pas Jersey mais chamboulent certaines données. On renégocie les droits de pêche qui au vu de cette nouvelle donne, sont caducs et privent de ce fait les patrons pécheurs français de leur pain et ceux de Jersey de la vente de leur pêche sur des places françaises. On notera qu’un projet de loi ne se transforme en loi qu’avec la signature de la reine actant sur avis de son conseil « privé », qui ne réunit pas tous les jours. Comme la bonne volonté s’est évaporée avec le Brexit, l’obtention de licences de pêche de la part de l’administration de Jersey traîne, l’influence de Londres n’étant probablement pas absente de cet état de choses. Comme le déclarait une porte-parole de Downing Street, le baillage « a le droit de réguler les droits de pêche dans ses eaux comme il l’entend et nous le soutenons ».

Cette lenteur est pour le moins suspecte. 41 licences ont été conférées sur 344 demandes. Et Jersey entend également modifier le maillage des filets utilisés pour pêcher. Et comme si ce n’était pas suffisant il faut deux licences, une pour pêcher dans les eaux territoriales anglaises et une autre pour pêcher dans celles de Jersey.  Début mai les pécheurs français ont décidé de bloquer le port de St Hélier en signe de protestation. En réaction le gouvernement de l’Ile appelle des successeurs de l’amiral Nelson à la rescousse. La France a dépêché deux bâtiments sur place et un ministre français menace de couper électricité sur l’île. Car, bizarrerie supplémentaire, la fourniture d’énergie électrique se fait à partir de la France via un câble sous-marin.

Une affaire de gros sous ?

Selon le conseil départemental de la Manche les îles génèrent bon an mal an 2 millions d’euros de retombées par an. De plus les pécheurs îliens ont besoin de la France car isolés ils n’ont plus de points où débarquer leur poisson. Paris a menacé de ne plus autoriser l’exercice d’activités financières anglaises sur son territoire si la raison n’était pas retrouvée. En dehors d’une incompréhension manifeste par les autorités françaises de l’importance et de la complexité du droit anglais, on peut légitimement s’interroger si le nœud du problème ne serait pas dans l’impossibilité de Bercy de contrôler les flux financiers des anglo-normandes. Le ministère des finances français est traditionnellement agacé par tout ce qui se passe sous le nez de la République à quelques kilomètres de ses cotes. Il n’oublie pas que 40% des revenus de l’île sont formés par les produits financiers dont beaucoup sont suspects aux yeux des ultra-orthodoxes de Bercy.

Entre-temps Jersey a promis de régler la question autorisations avant le 1er septembre.