Les 27 et 28 janvier prochains, 21 équipes de pâtissiers venues du monde entier s’affronteront à Lyon lors de la Coupe du Monde de pâtisserie et devront proposer un dessert… vegan ! Une véritable révolution dans cet univers de douceur d’ordinaire réalisé à grand coup d’œufs, de lait et de beurre, mais surtout l’annonce d’une métamorphose du concept même de pâtisserie.

À cette occasion, nous nous sommes entretenus avec Julie Jager. Après avoir tenu pendant cinq ans, son restaurant bio, « Chez Julie » à Bonnevoie, elle est désormais en charge de développer une gamme de pâtisseries healthy pour Oiko-Bakhaus dont l’enseigne luxembourgeoise Naturata est un client.

Les vegans sont-ils les seuls intéressés par la pâtisserie vegan ?

Absolument pas. C’est justement cela qui est intéressant. Il est vrai que nous remarquons une recrudescence de la demande vegan, chez Naturata, mais de plus en plus de personnes sont curieuses. Lorsque je développe un nouveau produit vegan, je le fais toujours goûter à plusieurs membres de l’équipe, dont certaines ne sont pas vegans. Leur avis est d’autant plus important qu’ils auraient tendance à être plus critiques. S’ils sont conquis, c’est le top !

Qu’est-ce qui vous séduit dans la pâtisserie vegan ?

Le challenge, car cela demande un sacré travail d’équilibriste pour remplacer les matières premières non vegan et de redoubler de créativité. L’idée de trouver une alternative savoureuse est bien plus stimulante !

Comment expliquez-vous cet attrait ?

Plusieurs critères peuvent l’expliquer. La première étant que cela surfe sur la tendance actuelle, on ne peut pas le nier. Il n’y a qu’à regarder sur les réseaux sociaux, le hashtag #vegan a atteint le chiffre fou de 72.9 millions de publications ! Concrètement, de plus en plus de personnes souffrent d’intolérances ou d’allergies alimentaires, mais continuent à vouloir se faire plaisir. Les douceurs vegan, mais également sans gluten ou sans lactose sont leur alternative.

Peut-on justement appeler pâtisserie un produit sans gluten, sans lactose, sans sucre, alors que la pâtisserie est intimement liée à l’idée de gourmandise ?

Cela dépend de chacun, je pense. Personnellement, je prends plus de plaisir en mangeant un fraisier vegan que sa version classique, par exemple. Mais cela est peut-être dû au fait que je ne suis pas passée par la pâtisserie classique, avant. J’ai peut-être un œil et un palais plus « neufs » ou plus « ouverts » (sourire). Le fait de comparer peut induire en erreur et nous conduire à un jugement, disons erroné. Il faut accepter de se laisser surprendre et de sortir de sa zone de confort gustative.

Une pâtisserie vegan est-elle plus diététiquement correcte ?

Nous sommes justement en train de faire des analyses pour déterminer la valeur calorique de nos produits : désolée, mais une pâtisserie vegan est sans aucun doute aussi calorique qu’un gâteau avec des œufs et du beurre !

Il y a aussi la question des matières premières : tous les laits végétaux, par exemple, ne se valent pas…

Tout à fait. Je suis ultra vigilante à la qualité des ingrédients avec lesquels je travaille. D’une boisson végétale à une autre, la composition varie énormément. Cela reste des produits industriels, donc il faut être vigilant et toujours bien regarder la liste des ingrédients. Un produit vegan industriel, quel qu’il soit, sera toujours moins bon pour la santé que n’importe quel produit naturel brut. Nous travaillons avec des produits le moins transformés possibles et nous sommes intraitables sur la qualité : pour ce faire chacun de nos fournisseurs est rigoureusement sélectionné. Notre gamme est avant tout bio, sans colorant ni additif et la moitié de nos produits sont vegans.

Quelle est la principale difficulté lorsqu’on pâtisse vegan ?

La substitution des ingrédients. C’est un travail d’alchimiste. Cela nécessite parfois des heures et des heures de tests avant de trouver le bon dosage.

Quel ingrédient est le plus difficile à remplacer ?

Beaucoup pensent que ce sont les œufs, mais je ne trouve pas. L’aquafaba (l’eau de conservation des pois chiches, ndlr.) est une excellente alternative pour les blancs et on peut utiliser de la compote de pommes, par exemple, en lieu et place des jaunes. Trouver le bon lait végétal est plus délicat, pour conserver un goût et une texture parfaits. J’utilise beaucoup l’amande, dont j’aime la saveur et la rondeur et qui est assez gras pour la texture ; je trouve le soja un peu âpre et le riz trop liquide, par exemple. Mais là encore, il faut essayer.

Quelles recettes de « substitution » fonctionnent bien ? Lesquelles ne fonctionnent pas ?

Un cake tout simple est très facile à transformer en cake vegan. En ce moment, je fais des tentatives pour créer une pâte à choux vegan : c’est bien plus délicat, car la recette originale utilise beaucoup d’œufs. Même combat avec les macarons. Mais c’est d’autant plus stimulant et excitant (sourire) !

Quel est votre « must have » ?

Un biscuit noisettes avec croquant praliné et mousse au chocolat : il est très fort en chocolat ! Il a d’ailleurs été la base de nos bûches de Noël qui ont été un grand succès. Pour la Saint-Valentin, je travaille sur un gâteau individuel en forme de cœur, à base d’azukis (des haricots rouges utilisé dans la fabrication de desserts japonais comme le doryakis, notamment, ndlr.), de thé matcha et crème chiboust vegan (photo).

À terme, pensez-vous que la pâtisserie vegan remplacera la pâtisserie classique ?

C’est une question qui se pose. J’ai suivi cet été le premier stage consacré à la pâtisserie healthy (dispensé par Régis Ferey, chef pâtissier de l’Elysée, ndlr.) à l’Ecole Ferrandi, à Paris et la question est venue sur le sujet. Malheureusement, pour l’heure, personne n’a encore la réponse. Mais que cette thématique intègre une école aussi prestigieuse et que la problématique des desserts vegans soit le sujet de la finale du Championnat du monde de pâtisserie me laisse à penser que cela va durer encore quelque temps.

Et puis, c’est une question de goût aussi : si on continue de développer des produits savoureux et qualitatif, cette tendance perdurera. Ensuite, il reste la question des pâtissiers classiques : oseront-il se lancer. Si à Paris, on recense déjà plusieurs enseignes consacrées à la pâtisserie vegan, à Luxembourg c’est encore rare, même si de nombreux restaurant et coffee shop vont vers cette tendance, comme Rawdish ou Glow. Le club des Sucrés du Lux consacrera sa prochaine édition aux desserts vegans, d’ailleurs. Les choses commencent à bouger, c’est positif…